mens: chez Homere, le
premier de tous les peintres, c'est quand Jupiter et Junon se sont
voiles du nuage d'or sur l'Ida, que la terre au-dessous fleurit, et que
naissent hyacinthes et roses.
Les jesuites, qui n'avaient pas les memes raisons dogmatiques que les
jansenistes pour s'interdire le spectacle de la creation, ont de bonne
heure donne dans le descriptif, sinon dans le pittoresque. Le Pere
Lemoyne dans ses epitres, Rapin, Vaniere et autres dans leurs poesies
latines, ont rempli a cet egard avec talent, et quelques-uns avec
gout, l'intervalle qui separe Du Bartas de Delille. Mais, en veritable
peinture, rien de direct ne s'etait declare avant Rousseau. Les grands
effets du ciel, les vastes paysages, la majeste de la nature alpestre,
les Elysees des jardins, il trouva des couleurs, des mots, pour exprimer
lumineusement tout cela, et il y fit circuler des rayons vivifiants.
Buffon eut ses grands tableaux plus calmes, plus froids au premier
abord, mais participant aussi de la vie profonde et de la majeste de
l'objet. Venu immediatement apres ces deux grands peintres, Bernardin de
Saint-Pierre sut etre neuf et distinct a cote d'eux. Il introduisit plus
particulierement la nature des tropiques, comme Jean-Jacques avait fait
celle des Alpes; et cette nouveaute brillante lui servit d'abord a
gagner les regards. Mais la nouveaute etait aussi dans sa maniere et
dans son pinceau; il melait aisement aux tableaux qu'il offrait des
objets naturels, le charme des plus delicieux reflets; il avait le
pathetique, l'onction dans le pittoresque, la magie.
En 1771, lorsqu'il revint definitivement a Paris, apres une jeunesse
errante, aventureuse et remplie de toutes sortes de tatonnements et
de mecomptes, Bernardin de Saint-Pierre avait trente-quatre ans. Son
biographe, M. Aime-Martin [53], et une partie de la Correspondance
publiee en 1826, ont donne sur ces annees d'epreuves tous les
interessants details qu'on peut desirer; et les origines d'aucun
ecrivain de talent ne sont mieux eclairees que celles de Bernardin de
Saint-Pierre. Ne au Havre en 1737, son imagination d'enfant s'egara de
bonne heure sur les flots. Des huit ans il cultivait un petit jardin
et prenait part a la culture des fleurs, comme il convenait a l'auteur
futur du _Fraisier_. A neuf ans, ayant lu quelques volumes des Peres du
desert, il quitta la maison un matin avec son dejeuner dans son petit
panier, pour se faire ermite aux environs. Il marquait une sympathie
|