ront sous la plume du romancier les plus enviables de
l'univers et un Eden ravissant, ne sont representes ici que comme une
terre de Cyclopes noircie par le feu. S'il y a quelque exageration a
dire cela, il faut convenir que Bernardin parle a chaque instant de
cette terre _raboteuse, toute herissee de roches_, de ces vallons
_sauvages_, de ces prairies _sans fleurs_, pierreuses et semees
d'_une herbe aussi dure que le chanvre_; mais la tristesse de l'exil
rembrunissait tout a ses yeux. Il nous confesse son secret en finissant:
"Je prefererais, de toutes les campagnes, nous dit-il, celle de mon
pays, non pas parce qu'elle est belle, mais parce que j'y ai ete
eleve.... Heureux qui revoit les lieux ou tout fut aime, ou tout parut
aimable, et la prairie ou il courut, et le verger qu'il ravagea!" Le
voyageur lasse va meme jusqu'a preferer Paris a toutes les villes, parce
que le peuple y est bon et qu'on y vit en liberte. Que de promptes
amertumes de toutes sortes suivirent et corrigerent ce vif elan de
retour, cet embrassement de la patrie! Refoule de nouveau et contriste
dans le present, le sejour deja lointain de l'Ile-de-France s'embellit
pour lui alors, et sa pensee y revola, comme la colombe au desert, pour
y replacer le bonheur.
Un endroit du _Voyage_ touche directement a l'innovation pittoresque de
l'auteur et a la conquete particuliere que meditait son talent: "L'art
de rendre la nature, dit-il, est si nouveau, que les termes mome n'en
sont pas inventes. Essayez de faire la description d'une montagne de
maniere a la faire reconnaitre: quand vous aurez parle de la base, des
flancs et du sommet, vous aurez tout dit; mais que de variete dans ces
formes bombees, arrondies, allongees, aplaties, cavees, etc.! Vous ne
trouvez que des periphrases; c'est la meme difficulte pour les plaines
et les vallons. Qu'on ait a decrire un palais, ce n'est plus le mome
embarras.... Il n'y a pas une moulure qui n'ait son nom." Bernardin
triompha de cette difficulte et de cette disette en introduisant, en
insinuant dans le vocabulaire pittoresque un grand nombre de mots
empruntes aux sciences, aux arts, a la navigation, a la botanique, etc.,
etc.; il particularisa beaucoup plus que Rousseau en fait de nuance.
Dans la description du coucher de soleil citee, plus haut, il est
question des vents alizes qui le soir _calmissent_ un peu, et des
vapeurs legeres propres a _refranger_ les rayons; deux mots que le
Dictionnaire de l'Academie n'a pas
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