ment du depart, m'apparait,
dans sa sensibilite discrete, comme toute mouillee de pleurs: "Adieu,
amis plus chers que les tresors de l'Inde!... Adieu, forets du Nord
que je ne reverrai plus! Tendre amitie! sentiment plus cher qui la
surpassiez! temps d'ivresse et de bonheur qui s'est ecoule comme un
songe! adieu... adieu... On ne vit qu'un jour pour mourir toute la
vie." C'est, on le voit, un touchant et dernier retour vers ces mois de
felicite en Pologne, un dernier soupir vers la princesse Marie. Cette
passion, dont on peut lire le recit complaisamment trace par le
biographe de Bernardin de Saint-Pierre, m'offre bien l'ideal des amours
romanesques, comme je me les figure: etre un grand poete, et etre aime
avant la gloire! exhaler les premices d'une ame de genie, en croyant
n'utre qu'un amant! se reveler pour la premiere fois tout entier, dans
le mystere!
D'autres pages touchantes du _Voyage_, et qui trahissent bien, dans sa
sincerite premiere, ce talent de coeur tout a fait propre au nouvel
ecrivain, sont celles ou il se reproche comme une faute essentielle de
n'avoir pas note dans son journal les noms des matelots tombes a la mer.
Parmi les esquisses deja neuves et vives, qui plus tard se developperont
en tableau, je recommande un coucher de soleil[58], dont on retrouve
exactement dans les _Etudes_, au chapitre _des Couleurs_, les effets
et les intentions, mais plus etendues, plus diversifiees: c'est la
difference d'un leger pastel improvise, et d'une peinture fine et
attentive. Bien des pages de _Paul et Virginie_ ne sont que le compose
poetique et colore de ce dont on a dans le _Voyage_ le trait reel et nu.
Pour n'en citer qu'un exemple, le pelerinage de Virginie et de son frere
a la Riviere-Noire est fait, dans le Voyage, par Bernardin accompagne
de son negre, et lorsqu'au retour, avant d'arriver au morne des
Trois-Mamelles, il faut traverser la riviere a gue, le negre passe son
maitre sur ses epaules: dans le roman, c'est Paul qui prend Virginie
sur son dos. Ainsi l'imagination, d'un toucher facile et puissant,
transfigure et divinise tout dans la souvenir.
[Note 58: Pages 47 et 48, tome Ier de l'edition de M. Aime-Martin.]
En maint endroit de sa relation, le voyageur ne se montre que
mediocrement enthousiaste de cette nature que bientot, l'horizon aidant
et la distance, il nous peindra si magnifique et si embaumee. Lemontey,
dans son _Etude sur Paul et Virginie_, a remarque que ces memes sites,
qui deviend
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