te, pardonne a mon silence!
J'admire ton eclat, mais crains ta violence.
M. Emile Deschamps, dans sa spirituelle preface des _Etudes francaises
et etrangeres_, et nous tous, railleurs posthumes de Delille, nous
sommes venus tard, et n'avons, meme la-dessus, rien invente.
Il ne rentra en France que deux ans apres, en 1802, pendant l'impression
du poeme de _la Pitie_. L'apparition de ce livre fut un evenement
politique[42]. Absent et plus hardi de loin, Delille avait ete dans
quelques vers jusqu'a invoquer la vengeance des rois de l'Europe contre
la France: cela sortait de la pitie. Il avait toutefois insiste pour que
les vers restassent. De pres, il sentit le peril. Six vers, qu'il ne
desavoua pas, furent, sans facon, substitues par un ami plus sage, et
qui prit sur lui d'oter au poete l'embarras de se retracter. A cela
pres, l'inspiration de _la Pitie_ ne parut pas moins suffisamment
royaliste et bourbonienne. On peut voir dans les notes de M. Fievee a
Bonaparte (avril 1803) le fremissement de colere qu'excitait autour du
Consul un succes impossible a reprimer. Il y eut une brochure intitulee
_Pas de pitie pour la Pitie!_ de Carrion-Nisas ou de quelque autre
pareil. On n'y approuvait du poeme que les six vers qui avaient ete
substitues a ceux de Delille[43]. A partir de ce moment, les ouvrages
amasses en portefeuille par Delille se succederent rapidement et dans un
flot de vogue ininterrompu: _l'Eneide_, 1804; _le Paradis perdu_, 1805;
_l'Imagination_, 1806; _les Trois Regnes_, 1809; _la Conversation_,
1812. C'etait le fruit des vingt annees precedentes; de plus, Delille
aveugle ne sortait guere, et, en tutelle de sa femme, versifiait sans
desemparer.
[Note 42: Les circonstances sociales s'en melerent et y mirent le
sens. D'ailleurs, a la politique proprement dite, est-il besoin de le
dire? Delille n'y avait jamais rien entendu. Un jour (a Londres, je
crois), dans un diner ou etait l'abbe Dillon, il avait jase sur ce
chapitre a tort et a travers. Quand il eut fini, l'abbe Dillon lui dit:
"Allons, l'abbe, il faudra que vous nous mettiez tout cela en vers, pour
nous le faire avaler."]
[Note 43: Mais rien n'egale, comme violence et infamie, un certain
pamphlet intitule _Examen critique du, poeme de la Pitie, precede d'une
Notice sur les faits et gestes de l'auteur et de son Antigone_ (Paris,
1803). L'anonyme, qui parait avoir connu depuis longtemps Delille,
s'attache, en ennemi intime, a fletrir toute sa vie; il
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