pour son ramage, comme on
a a la soiree un chanteur. Mais le prestige de la renommee et l'idee
de genie rachetaient tout. S'il paraissait a l'Academie pour y reciter
quelque morceau; si, au College de France ou M. Tissot le remplacait, il
revenait parfois faire une apparition annoncee a l'avance, et debiter
quelque episode harmonieux, les larmes et l'enthousiasme n'avaient
plus de mesure: on le remportait dans son fauteuil, au milieu des
trepignements universels: c'etait Voltaire a la solennite d'_Irene_; les
adieux d'un chanteur idolatre recoivent moins de couronnes.
[Note 48: M. Meneval, dans ses Souvenirs (t. I, p. 156), cite une
requete en vers adressee a Bonaparte par le libraire de Delille, et il
l'attribue sans hesiter a celui-ci; mais les vers sont si mauvais qu'on
a le droit d'en douter.]
Ainsi il alla gardant et multipliant en quelque sorte ses graces
incorrigibles jusque sous les rides[49]. Cette semillante et spirituelle
laideur devenait, a la longue, grandeur et majeste. Les critiques
avaient cesse; du moins elles se faisaient en conversation et ne
s'imprimaient plus. La traduction de _l'Eneide_ et le poeme de
_l'Imagination_ etaient designes pour les prix decennaux par des voix
non suspectes. Il n'arrivait plus que des hommages. Vers 1809, un
_Nouvel Art poetique_, par M. Viollet-le-Duc, petit poeme dirige contre
les descriptifs, et qui n'atteignait Delille qu'indirectement et sans le
nommer, parut presque un attentat.
[Note 49: Expression de M. Villemain. Voir au Discours sur la
Critique, premiers _Melanges_, une des plus jolies papes qu'on ait
ecrites sur Delille.]
Il mourut d'apoplexie dans la nuit du 1er au 2 mai 1813. Son corps resta
expose plusieurs jours au College de France, sur un lit de parade, la
tete couronnee de laurier et le visage legerement peint. Tous ceux qui
habitaient Paris a cette epoque ont memoire de son convoi, qui balanca
celui de Bessieres.
Les choses ont bien change, et de grands revers ont suivi ce triomphe
alors unanime, d'un nom poetique qui du moins vivra. Quant a nous, de
bonne heure adversaire, et qui pourtant le comprenons, sur la tombe de
ce talent brillant et spirituel que nous ne croyons pas avoir insulte ni
denigre aujourd'hui, pres de l'autel renverse de ce poete qui regna et
que nous venons de juger sans colere, en presence de celui[50] qui regne
apres lui, et dont la faveur, si l'on veut, a aussi quelques illusions;
en face de cet autre[51] qui ne regne
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