te qu'a la Malmaison,
chez madame du Moley, il etait convenu, pour plus de liberte, qu'en
se promenant dans les jardins, on tiendrait a la main une branche de
verdure, si l'on desirait ne pas se chercher ou s'aborder: "Je ne
marchais jamais sans ma branche, dit-elle; mais je la jetais bien vite,
si j'apercevais l'abbe Delille."
Madame Lebrun elle-meme, avec sa facilite, son gout vif a peindre et
sa seduction de coloris, me semble avoir ete, dans ce meme monde, une
_chose legere_, assez semblable a l'abbe Delille. Elle peignait tout
avec une singuliere grace, les personnes, les cascades, d'apres nature
ou de souvenir, promptement, fraichement, comme Delille versifiait:
"Nous allames d'abord voir, dit-elle, les cascatelles de Tivoli, dont je
fus si enchantee que ces messieurs ne pouvaient m'en arracher. Je les
crayonnai aussitot avec du pastel, desirant colorer l'arc-en-ciel qui
ornait ces belles chutes d'eau." Ce mot me fait l'image de son talent,
et de celui surtout du poete son ami. Tous les endroits qui n'etaient
qu'au pastel, et qui brillaient comme des fleurs, se sont fanes.
Dans cette societe de M. de Vaudreuil, de M. de Choiseul-Gouffier, du
prince de Ligne, du duc de Bragance, des Bouflers, des Narbonne, des
Segur, au milieu de ces conversations charmantes ou nul plus que lui
n'etincelait, Delille croyait aimer la campagne et ne revait qu'a
la peindre. M. Villemain, en une de ses lecons, a remarque qu'on se
trouvait alors si bien dans le salon, qu'on mettait au plus la tete a la
fenetre pour voir la nature;... et encore, c'etait du cote du jardin.
Il y avait pourtant, dans le poete, un certain fonds naif sous la
coquetterie du dehors, et il etait serieusement credule dans son
pretendu amour des champs, comme La Fontaine par exemple, s'il avait cru
aimer la cour[26]. Volney tenait de d'Holbach une anecdote qui ne peint
pas moins Delille que Diderot, deux figures si diverses[27]: "On venait
de vanter le bonheur de la campagne devant Diderot; sa tete se monte, il
veut aller passer du temps a la campagne: ou ira-t-il? Le gouverneur du
chateau de Meudon arrive en visite; il connait Diderot, il apprend son
desir; il lui assigne une chambre au chateau. Diderot va la voir, en est
enchante, il ne sera heureux que la: il revient en ville, l'ete se
passe sans qu'il retourne la-bas. Second ete, pas plus de voyage. En
septembre, il rencontre le poete Delille qui l'aborde en disant: "Je
vous cherchais, mon ami; je suis occu
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