e c'etait l'homme, et il l'amena
a son maitre. La physionomie de Marlowe, en effet, ne manquait pas de
ressemblance avec le front d'un noble taureau, et le page, comme un
enfant qu'il etait encore, en avait ete frappe plus que de tout autre.
Mais lord Southampton lui fit ensuite remarquer son erreur, et lui
expliqua comment le visage humain et proportionne de Shakspeare, qui
frappait peut-etre moins au premier abord, etait pourtant le plus beau.
Ce que Tieck a dit la si ingenieusement des visages, il le veut dire
surtout, on le sent, de l'interieur des genies[16].
[Note 15: _Mercure de France_, mai 1740.]
[Note 16: On peut tirer de cette theorie une conclusion immediatement
applicable a un eminent poete de nos jours. Les grands genies
dramatiques creent toujours leurs personnages avec les elements
interieurs dont ils disposent; ils les creent a leur image, non pas en
se peignant individuellement en eux, mais en les peignant de la
meme nature humaine qu'ils sont eux-memes, sauf les differences de
proportions qu'ils combinent a dessein. C'est pour cela que les grands
genies dramatiques doivent unir tous les elements de l'ame humaine _a
un plus haut degre, mais dans les memes proportions_ que le commun des
hommes; qu'ils doivent posseder un equilibre moyen entre des doses plus
fortes d'imagination, de sensibilite, de raison. Or, supposez une nature
tres-lyrique, c'est-a-dire un peu singuliere, exceptionnelle, chez
laquelle les elements de l'ame humaine fortement combines ne sont pas
dans les memes proportions que chez le commun des hommes; chez laquelle,
par exemple, l'imagination est double ou triple, la raison moindre,
inegale, la logique opiniatre et subtile, la sensibilite violente, ne se
produisant jamais qu'a l'etat heroique de passion sans remplir doucement
les intervalles. Qu'une telle nature de poete lyrique veuille creer des
personnages vivants, un monde d'ambitieux, d'amants, de peres, etc.;
il arrivera que n'ayant pas en soi la mesure juste, la _moyenne_, en
quelque sorte, de l'ame humaine, le poete se meprendra sur toutes les
proportions des caracteres, et ne parviendra pas a les poser dans un
rapport naturel de terreur et de pitie avec les impressions de tous.
C'est ce qui est arrive a notre celebre contemporain en ses drames. La
base humaine, sur laquelle les passions de ses personnages se relevent
et sont en jeu, ne semble pas la meme entre le poete et les spectateurs.
Tant qu'il se tient dans le genre l
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