celles de ses creations qui doivent rester les plus
immortelles, y assistant pour ainsi dire avec complaisance en meme temps
qu'elles lui echappaient, et ne gravant nulle part sur aucune d'elles ce
je ne sais quoi de trop acre et de trop intime qui trahit toujours les
mysteres de l'auteur. S'il s'est peint dans quelque personnage de
ses romans, c'a ete dans des caracteres comme celui de Morton des
_Puritains_, c'est-a-dire dans un type pale, indecis, honnete et bon."]
Mademoiselle Poisson, femme du comedien de ce nom, a donne de Moliere le
portrait suivant[15], que ceux qu'a laisses Mignard ne dementent pas pour
les traits physiques, et qui satisfait l'esprit par l'image franche
qu'il suggere: "Moliere, dit-elle, n'etait ni trop gras, ni trop maigre;
il avoit la taille plus grande que petite; le port noble, la jambe
belle; il marchoit gravement, avoit l'air tres-serieux, le nez gros, la
bouche grande, les levres epaisses, le teint brun, les sourcils noirs
et forts, et les divers mouvements qu'il leur donnoit lui rendoient la
physionomie extremement comique. A l'egard de son caractere, il etoit
doux, complaisant, genereux; il aimoit fort a haranguer, et quand il
lisoit ses pieces aux comediens, il vouloit qu'ils y amenassent leurs
enfants, pour tirer des conjectures de leurs mouvements naturels." Ce
qui apparait en ce peu de lignes de la male beaute du visage de
Moliere m'a rappele ce que Tieck raconte de la _face tout humaine _de
Shakspeare. Shakspeare, jeune, inconnu encore, attendait dans la chambre
d'une auberge l'arrivee de lord Southampton, qui allait devenir son
protecteur et son ami. Il ecoutait en silence le poete Marlowe, qui
s'abandonnait a sa verve bruyante sans prendre garde au jeune inconnu.
Lord Southampton, etant arrive dans la ville, depecha son page a
l'hotellerie: "Tu vas aller, lui dit-il en l'envoyant, dans la
chambre commune; la, regarde attentivement tous les visages: les uns,
remarque-le bien, te paraitront ressembler a des figures d'animaux moins
nobles, les autres a des figures d'animaux plus nobles; cherche toujours
jusqu'a ce que tu aies rencontre un visage qui ne te paraisse ressembler
a rien autre qu'a un visage humain. C'est la l'homme que je cherche;
salue-le de ma part et amene-le-moi." Et le jeune page s'empressa
d'aller, et, en entrant dans la chambre commune, il se mit a examiner
les visages; et apres un lent examen, trouvant le visage du poete
Marlowe le plus beau de tous, il crut qu
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