le, car elle a besoin de passer dans beaucoup d'esprits pour faire
peu a peu a tous le bien qu'elle recele. Elle peut se resumer en trois
mots que ton livre explique et que le mien tentera de prouver: _sortir
de soi_.--Il est doux d'en sortir ensemble, et cela nous est arrive
souvent.
Tamaris, 1er mars 1861.
VALVEDRE
* * * * *
I
Des motifs faciles a apprecier m'obligeant a deguiser tous les noms
propres qui figureront dans ce recit, le lecteur voudra bien n'exiger de
moi aucune precision geographique. Il y a plusieurs manieres de raconter
une histoire. Celle qui consiste a vous faire parcourir une contree
attentivement exploree et fidelement decrite est, sous un rapport, la
meilleure: c'est un des cotes par lesquels le roman, cette chose si
longtemps reputee frivole, peut devenir une lecture utile, et mon avis
est que, quand on nomme une localite reellement existante, on ne saurait
la peindre trop consciencieusement; mais l'autre maniere, qui, sans etre
de pure fantaisie, s'abstient de preciser un itineraire et de nommer le
vrai lieu des scenes principales, est parfois preferable pour
communiquer certaines impressions recues. La premiere sert assez bien le
developpement graduel des sentiments qui peuvent s'analyser; la seconde
laisse a l'elan et au decousu des vives passions un chemin plus large.
D'ailleurs, je ne serais pas libre de choisir entre ces deux methodes,
car c'est l'histoire d'une passion subie, bien plus qu'expliquee, que je
me propose de retracer ici. Cette passion souleva en moi tant de
troubles, qu'elle m'apparait encore a travers certains voiles. Il y a de
cela vingt ans. Je la portai en divers lieux, qui reapparurent
splendides ou miserables selon l'etat de mon ame. Il y eut meme des
jours, des semaines peut-etre, ou je vecus sans bien savoir ou j'etais.
Je me garderai donc de reconstruire, par de froides recherches ou par de
laborieux efforts de memoire, les details d'un passe ou tout fut
confusion et fievre en moi comme autour de moi, et il ne sera peut-etre
pas mauvais de laisser a mon recit un peu de ce desordre et de ces
incompletes notions qui furent ma vie durant ces jours terribles.
J'avais vingt-trois ans quand mon pere, professeur de litterature et de
philosophie a Bruxelles, m'autorisa a passer un an sur les chemins; en
cela, il cedait a mon desir autant qu'a une consideration serieuse. Je
me destinais aux lettres, et j'avais ce r
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