n sentier de la
montagne, il s'arreta tout a coup et fit un grand detour a travers les
rochers et les epines, pour ne point passer sur une certaine place qui
n'avait cependant rien de particulier. Ils revinrent sur leurs pas au
bout de quelques instants, et Albert fit le meme manege. Mon pere, qui
l'observait, feignit d'avoir perdu quelque chose, et voulut l'amener au
pied d'un sapin qui paraissait etre l'objet de cette repugnance.
Non-seulement Albert evita d'en approcher, mais encore il affecta de ne
point marcher sur l'ombre que cet arbre projetait en travers du chemin;
et, tandis que mon pere passait et repassait dessus, il montra un
malaise et une angoisse extraordinaires. Enfin, mon pere s'etant arrete
tout au pied de l'arbre, Albert fit un cri, et le rappela
precipitamment. Mais il refusa bien longtemps de s'expliquer sur cette
fantaisie, et ce ne fut que vaincu par les prieres de toute la famille,
qu'il declara que cet arbre etait la marque d'une sepulture, et qu'un
grand crime avait ete commis en ce lieu. Le chapelain pensa que si
Albert avait connaissance de quelque meurtre commis jadis en cet
endroit, il etait de son devoir de s'en informer, afin de donner la
sepulture a des ossements abandonnes.
"--Prenez garde a ce que vous ferez, dit Albert avec l'air moqueur et
triste a la fois qu'il sait prendre souvent. L'homme, la femme et
l'enfant que vous trouverez la etaient hussites, et c'est l'ivrogne
Wenceslas qui les a fait egorger par ses soldats, une nuit qu'il se
cachait dans nos bois, et qu'il craignait d'etre observe et trahi par
eux.
"On ne parla plus de cette circonstance a mon cousin. Mais mon oncle,
qui voulait savoir si c'etait une inspiration ou un caprice de sa part,
fit faire des fouilles durant la nuit a l'endroit que designa mon pere.
On y trouva les squelettes d'un homme, d'une femme et d'un enfant.
L'homme etait couvert d'un de ces enormes boucliers de bois que
portaient les hussites, et qui sont bien reconnaissables a cause du
calice qui est grave dessus, avec cette devise autour en latin: _O Mort,
que ton souvenir est amer aux mechants! mais que tu laisses calme celui
dont toutes les actions sont justes et dirigees en vue du trepas!_"[1]
[1 _O mors, quam est amara memoria tua hominibus injustis, viro quieta
cujus omnes res flunt ordinate et ad hoc_. C'est une sentence empruntee
a la Bible (_Ecclesiastique_, ch. XLI;, v. 1 et 3). Mais, dans la Bible,
au lieu des mechants, il y a les riche
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