par la fatigue, l'insomnie, et la perplexite
genereuse, mais peut-etre un peu maladive, de son esprit, sentait
quelque mouvement de fievre, que la fraicheur du soir ne pouvait calmer.
Il lui semblait toucher au terme de son entreprise. Un pressentiment
romanesque, qu'elle prenait pour un ordre et un encouragement de la
Providence, la tenait active et agitee. Elle s'assit sur un tertre de
gazon plante de melezes, et se mit a ecouter le bruit faible et plaintif
du torrent au fond de la vallee. Mais il lui sembla qu'une vois plus
douce et plus plaintive encore se melait au murmure de l'eau et montait
peu a peu jusqu'a elle. Elle s'etendit sur le gazon pour mieux saisir,
etant plus pres de la terre, ces sons legers que la brise emportait a
chaque instant. Enfin elle distingua la voix de Zdenko. Il chantait en
allemand; et elle recueillit les paroles suivantes, arrangees tant bien
que mal sur un air bohemien, empreint du meme caractere naif et
melancolique que celui qu'elle avait deja entendu:
"Il y a la-bas, la-bas, une ame en peine et en travail, qui attend sa
delivrance.
"Sa delivrance, sa consolation tant promise.
"La delivrance semble enchainee, la consolation semble impitoyable.
"Il y a la-bas, la-bas, une ame en peine et en travail qui se lasse
d'attendre."
Quand la voix cessa de chanter, Consuelo se leva, chercha des yeux
Zdenko dans la campagne, parcourut tout le parc et tout le jardin pour
le trouver, l'appela de divers endroits, et rentra sans l'avoir apercu.
Mais une heure apres qu'on eut dit tout haut en commun une longue priere
pour le comte Albert, auquel on invita tous les serviteurs de la maison
a se joindre, tout le monde etant couche, Consuelo alla s'installer
aupres de la fontaine des Pleurs, et, s'asseyant sur la margelle, parmi
les capillaires touffues qui y croissaient naturellement, et les iris
qu'Albert y avait plantes, elle fixa ses regards sur cette eau immobile,
ou la lune, alors parvenue a son zenith, plongeait son image comme dans
un miroir.
Au bout d'une heure d'attente, et comme la courageuse enfant, vaincue
par la fatigue, sentait ses paupieres s'appesantir, elle fut reveillee
par un leger bruit a la surface de l'eau. Elle ouvrit les yeux, et vit
le spectre de la lune s'agiter, se briser, et s'etendre en cercles
lumineux sur le miroir de la fontaine. En meme temps un bouillonnement
et un bruit sourd, d'abord presque insensible et bientot impetueux, se
manifesterent; elle vit l
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