utte ou elle se voyait lancee, entre
la superstition des uns et l'incredulite des autres, Consuelo eut, ce
soir-la, beaucoup de peine a dire ses prieres. Elle cherchait le sens de
toutes ces formules de devotion qu'elle avait acceptees jusque-la sans
examen, et qui ne satisfaisaient plus son esprit alarme. "A ce que j'ai
pu voir, pensait-elle, il y a deux sortes de devotions a Venise. Celle
des moines, des nonnes, et du peuple, qui va trop loin peut-etre; car
elle accepte, avec les mysteres de la religion, toutes sortes de
superstitions accessoires, l'_Orco_ (le diable des lagunes), les
sorcieres de Malamocco, les chercheuses d'or, l'horoscope, et les voeux
aux saints pour la reussite des desseins les moins pieux et parfois les
moins honnetes: celle du haut clerge et du beau monde, qui n'est qu'un
simulacre; car ces gens-la vont a l'eglise comme au theatre, pour
entendre la musique et se montrer; ils rient de tout, et n'examinent
rien dans la religion, pensant que rien n'y est serieux, que rien n'y
oblige la conscience, et que tout est affaire de forme et d'usage.
Anzoleto n'etait pas religieux le moins du monde; c'etait un de mes
chagrins, et j'avais raison d'etre effrayee de son incredulite. Mon
maitre Porpora ... que croyait-il? je l'ignore. Il ne s'expliquait point
la-dessus, et cependant il m'a parle de Dieu et des choses divines dans
le moment le plus douloureux et le plus solennel de ma vie. Mais quoique
ses paroles m'aient beaucoup frappee, elles n'ont laisse en moi que de
la terreur et de l'incertitude. Il semblait qu'il crut a un Dieu jaloux
et absolu, qui n'envoyait le genie et l'inspiration qu'aux etres isoles
par leur orgueil des peines et des joies de leurs semblables. Mon coeur
desavoue cette religion sauvage, et ne peut aimer un Dieu qui me defend
d'aimer. Quel est donc le vrai Dieu? Qui me l'enseignera? Ma pauvre mere
etait croyante; mais de combien d'idolatries pueriles son culte etait
mele! Que croire et que penser? Dirai-je, comme l'insouciante Amelie,
que la raison est le seul Dieu? Mais elle ne connait meme pas ce
Dieu-la, et ne peut me l'enseigner; car il n'est pas de personne moins
raisonnable qu'elle. Peut-on vivre sans religion? Alors pourquoi vivre?
En vue de quoi travaillerais-je? en vue de quoi aurais-je de la pitie,
du courage, de la generosite, de la conscience et de la droiture, moi
qui suis seule dans l'univers, s'il n'est point dans l'univers un Etre
supreme, intelligent et plein d'amour,
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