moment de
son arrivee au chateau, elle ne l'eut pas reconnu, si, en jetant les
yeux au-dessous d'elle, elle n'eut vu, au fond du ravin que traversait
la route, les formidables debris du chene, brise par la foudre, et
qu'aucun habitant de la campagne, aucun serviteur du chateau n'avait ose
depecer ni enlever, une crainte superstitieuse s'attachant encore pour
eux, apres plusieurs siecles, a ce monument d'horreur, a ce contemporain
de Jean Ziska.
Les visions et les predictions d'Albert avaient donne a ce lieu tragique
un caractere plus emouvant encore. Aussi Consuelo, en se trouvant seule
et amenee a l'improviste a la pierre d'epouvante, sur laquelle meme elle
venait de s'asseoir, brisee de fatigue, sentit-elle faiblir son courage,
et son coeur se serrer etrangement. Non seulement, au dire d'Albert,
mais a celui de tous les montagnards de la contree, des apparitions
epouvantables hantaient le Schreckenstein, et en ecartaient les
chasseurs assez temeraires pour venir y guetter le gibier. Cette
colline, quoique tres-rapprochee du chateau, etait donc souvent le
domicile des loups et des animaux sauvages, qui y trouvaient un refuge
assure contre les poursuites du baron et de ses limiers. L'impassible
Frederick ne croyait pas beaucoup, pour son compte, au danger d'y etre
assailli par le diable, avec lequel il n'eut pas craint d'ailleurs de se
mesurer corps a corps; mais, superstitieux a sa maniere, et dans l'ordre
de ses preoccupations dominantes, il etait persuade qu'une pernicieuse
influence y menacait ses chiens, et les y atteignait de maladies
inconnues et incurables. Il en avait perdu plusieurs pour les avoir
laisses se desalterer dans les filets d'eau claire qui s'echappaient des
veines de la colline, et qui provenaient peut-etre de la citerne
condamnee, antique tombeau des Hussites. Aussi rappelait-il de toute
l'autorite de son sifflet sa griffonne Pankin ou son _double-nez_
Saphyr, lorsqu'ils s'oubliaient aux alentours du Schreckenstein.
Consuelo, rougissant des acces de pusillanimite qu'elle avait resolu de
combattre, s'imposa de rester un instant sur la pierre fatale, et de ne
s'en eloigner qu'avec la lenteur qui convient a un esprit calme, en ces
sortes d'epreuves. Mais, au moment ou elle detournait ses regards du
chene calcine qu'elle apercevait a deux cents pieds au-dessous d'elle,
pour les reporter sur les objets environnants, elle vit qu'elle n'etait
pas seule sur la pierre d'epouvante, et qu'une figure incom
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