et Albert sont les seuls qui osent aller a toute heure
s'entretenir des choses divines les plus biscornues sur la pierre
d'epouvante. Albert et Zdenko sont les seuls qui ne rougissent point de
s'asseoir sur l'herbe avec les Zingari qui font halte sous nos sapins,
et de partager avec eux la cuisine degoutante que preparent ces gens-la
dans leurs ecuelles de bois. Ils appellent cela communier, et on peut
dire que c'est communier sous toutes les especes possibles. Ah! quel
epoux! quel amant desirable que mon cousin Albert, lorsqu'il saisira la
main de sa fiancee dans une main qui vient de presser celle d'un Zingaro
pestifere, pour la porter a cette bouche qui vient de boire le vin du
calice dans la meme coupe que Zdenko!
--Tout ceci peut etre fort plaisant, dit Consuelo; mais, quant a moi, je
n'y comprends rien du tout.
--C'est que vous n'avez pas de gout pour l'histoire, reprit Amelie, et
que vous n'avez pas bien ecoute tout ce que je vous ai raconte des
Hussites et des Protestants, depuis plusieurs jours que je m'egosille a
vous expliquer scientifiquement les enigmes et les pratiques saugrenues
de mon cousin. Ne vous ai-je pas dit que la grande querelle des Hussites
avec l'eglise romaine etait venue a propos de la communion sous les deux
especes? Le concile de Bale avait prononce que c'etait une profanation
de donner aux laiques le sang du Christ sous l'espece du vin, alleguant,
voyez le beau raisonnement! que son corps et son sang etaient egalement
contenus sous les deux especes, et que qui mangeait l'un buvait l'autre.
Comprenez-vous?
--Il me semble que les Peres du concile ne se comprenaient pas beaucoup
eux-memes. Ils eussent du dire, pour etre dans la logique, que la
communion du vin etait inutile; mais profanatoire! pourquoi, si, en
mangeant le pain, on boit aussi le sang?
--C'est que les Hussites avaient une terrible soif de sang, et que les
Peres du concile les voyaient bien venir. Eux aussi avaient soif du sang
de ce peuple; mais, ils voulaient le boire sous l'espece de l'or.
L'eglise romaine a toujours ete affamee et alteree de ce suc de la vie
des nations, du travail et de la sueur des pauvres. Les pauvres se
revolterent, et reprirent leur sueur et leur sang dans les tresors des
abbayes et sur la chape des eveques. Voila tout le fond de la querelle,
a laquelle vinrent se joindre, comme je vous l'ai dit, le sentiment
d'independance nationale et la haine de l'etranger. La dispute de la
communion en fut
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