t la porte, la grand'mere me mit sur le dos un bat tres
leger, et s'assit dessus. Georget lui apporta un petit panier de
legumes, qu'elle mit sur ses genoux, et nous partimes pour le marche de
Mamers. La bonne femme vendit bien ses legumes, personne ne me reconnut
et je revins avec mes nouveaux maitres.
Je vecus chez eux pendant quatre ans; j'etais heureux; je ne faisais de
mal a personne; je faisais bien mon service; j'aimais mon petit maitre,
qui ne me battait jamais; on ne me fatiguait pas trop; on me nourrissait
assez bien. D'ailleurs, je ne suis pas gourmand. L'ete, des epluchures
de legumes, des herbes dont ne veulent pas les chevaux ni les vaches;
l'hiver, du foin et des pelures de pommes de terre, de carottes, de
navets: voila ce qui nous suffit a nous autres anes.
Il y avait pourtant des journees que je n'aimais pas; c'etaient celles
ou ma maitresse me louait a des enfants du voisinage. Elle n'etait pas
riche, et, les jours ou je n'avais pas a travailler, elle etait bien
aise de gagner quelque chose en me louant aux enfants du chateau voisin.
Ils n'etaient pas toujours bons.
Voici ce qui m'arriva un jour dans une de ces promenades.
IV
LE PONT
Il y avait six anes ranges dans la cour; j'etais un des plus beaux et
des plus forts. Trois petites filles nous apporterent de l'avoine dans
une auge. Tout en mangeant, j'ecoutais causer les enfants.
_Charles_:--Voyons, mes amis, choisissons nos anes. Moi, d'abord, je
prends celui-ci (en me montrant du doigt).
--Toi, tu prends toujours ce que tu crois le meilleur, dirent a la fois
les cinq enfants. Il faut tirer au sort.
_Charles_:--Comment veux-tu que nous tirions au sort, Caroline? Est-ce
qu'on peut mettre les anes dans un sac et les en tirer comme des billes?
Antoine:--Ah! ah! ah! Est-il bete avec ses anes dans un sac! Comme si on
ne pouvait pas les numeroter, 1, 2, 3, 4, 5, 6, mettre les numeros dans
un sac, et tirer au hasard chacun le sien.
--C'est vrai, c'est vrai, s'ecrierent les cinq autres. Ernest, fais les
numeros pendant que nous allons les ecrire sur le dos des anes.
Ces enfants sont betes, me disais-je. S'ils avaient l'esprit d'un ane,
au lieu de se donner l'ennui d'ecrire les numeros sur notre dos, ils
nous rangeraient tout simplement le long du mur: le premier serait l, le
second 2, et ainsi de suite.
Pendant ce temps, Antoine avait apporte un gros morceau de charbon.
J'etais le premier, il m'ecrivit un enorme 1 sur la croupe
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