je vis un joli petit garcon de cinq ans; sa soeur, qui
paraissait agee de trois ans, accourait avec sa bonne.
_Jeanne_:--Jacques, qu'est-ce que tu dis a ce pauvre ane?
_Jacques_:--Je lui dis de venir demeurer chez grand'mere: il est tout
seul, pauvre bete!
_Jeanne_:--Oui, Jacques prends-le; attends, je vais monter a dos. Ma
bonne, ma bonne, a dos de l'ane.
La bonne mit la petite fille sur mon dos; Jacques voulais me mener, mais
je n'avais pas de brides.
--Attendez, ma bonne, dit-il, je vais lui attacher mon mouchoir au cou.
Le petit Jacques essaya, mais j'avais le cou trop gros pour son petit
mouchoir: sa bonne lui donna le sien, qui etait encore trop court.
--Comment faire, ma bonne? dit Jacques pret a pleurer.
_La bonne_:--Allons au village demander un licou ou une corde. Viens, ma
petite Jeanne, descends de dessus l'ane.
_Jeanne_: se cramponnant a mon cou.--Non, je ne veux pas descendre; je
veux rester sur l'ane, je veux qu'il me mene a la maison.
_La bonne_:--Mais nous n'avons pas de licou pour le faire avancer. Tu
vois bien qu'il ne bouge pas plus qu'un ane de pierre.
_Jacques_:--Attendez, ma bonne, vous allez voir. D'abord je sais qu'il
s'appelle Cadichon: la mere Tranchet me l'a dit. Je vais le caresser,
l'embrasser, et je crois qu'il me suivra.
Jacques s'approcha de mon oreille et me dit tout bas, en me caressant:
--Marche, mon petit Cadichon; je t'en prie, marche.
La confiance de ce bon petit garcon me toucha; je remarquai avec plaisir
qu'au lieu de demander un baton pour me faire avancer, il n'avait songe
qu'aux moyens de douceur et d'amitie. Aussi, a peine avait-il acheve sa
phrase et sa petite caresse, que je me mis en marche.
--Vous voyez, ma bonne, il me comprend, il m'aime! s'ecria Jacques,
rouge de joie, les yeux brillants de bonheur, et courant en avant pour
me montrer le chemin.
_La bonne_:--Est-ce qu'un ane peut comprendre quelque chose? Il marche
parce qu'il s'ennuie ici.
_Jacques_:--Vous croyez qu'il a faim, ma bonne?
_La bonne_:--Probablement; vois comme il est maigre.
_Jacques_:--C'est vrai! pauvre Cadichon et moi qui ne pensais pas a lui
donner mon pain!
Et, tirant aussitot de sa poche le morceau que la bonne y avait mis pour
son gouter, il me le presenta.
J'avais ete offense de la mauvaise pensee de la bonne, et je fus bien
aise de lui prouver qu'elle m'avait mal juge, que ce n'etait pas par
interet que je suivais Jacques, et que je portais Jeanne s
|