'es nigaud! Tu ne vois donc pas la figure qu'il
a, ce pauvre Cadichon! Il va nous faire rire; il n'ira pas loin, va.
_Andre:_--Je n'en sais rien. Si je lui presentais de l'avoine pour le
faire partir?
_Jeannot:_--Et les dix sous de la mere Tranchet, donc?
_Andre:_--Et bien, l'ane parti, on les lui rendrait.
_Jeannot:_--Au fait, Cadichon n'est pas plus a elle qu'a moi ou a toi.
Va chercher un picotin, et tache de le faire partir sans que la mere
Tranchet s'en apercoive.
J'avais tout entendu et tout compris; aussi, quand Andre revint avec
un picotin d'avoine dans son tablier, au lieu d'aller a lui, je me
rapprochai de la mere Tranchet, qui causait avec des amis. Andre me
suivit; Jeannot me prit par les oreilles et me fit tourner la tete,
croyant que je ne voyais pas l'avoine. Je ne bougeai pas davantage
malgre l'envie que j'avais d'y gouter. Jeannot commenca a me tirer,
Andre a me pousser, et moi je mis a braire de ma plus belle voix. La
mere Tranchet se retourna et vit la manoeuvre d'Andre et de Jeannot.
--Ce n'est pas bien ce que vous faites la, mes garcons. Puisque vous
m'avez fait mettre ma pauvre piece blanche au sac de course, faut pas
m'enlever Cadichon. Vous avez peur de lui, a ce qu'il me semble.
_Andre:_--Peur! d'un sale bourri comme ca? Ah! pour ca non, nous n'avons
pas peur.
_Mere Tranchet:_--Et pourquoi que vous le tiriez pour l'emmener?
_Andre:_--C'etait pour lui donner un picotin.
_Mere Tranchet:_ d'un air moqueur.--C'est different! c'est gentil, ca.
Versez-lui ca par terre, qu'il mange a son aise. Et moi qui croyais que
vous vouliez lui donner un picotin de malice! Voyez pourtant comme on se
trompe.
Andre et Jeannot etaient honteux et mecontents, mais ils n'osaient pas
le faire voir. Leurs camarades riaient de les voir attrapes; la mere
Tranchet se frottait les mains, et moi j'etais enchante. Je mangeais
mon avoine avec avidite, je sentais que je prenais des forces en la
mangeant; j'etais content de la mere Tranchet, et, quand j'eus tout
avale, je devins impatient de partir. Enfin il se fit un grand tumulte;
le maire venait donner l'ordre de placer les anes. On les rangea tous
en ligne; je me mis modestement le dernier. Quand je parus seul, chacun
demanda qui j'etais, a qui j'appartenais.
--A personne, dit Andre.
--A moi! cria la mere Tranchet.
_Le maire_:--Il fallait mettre au sac de course, mere Tranchet.
_Mere Tranchet_:--J'y ai mis, monsieur le maire.
--Bon, inscrive
|