eule, car elle n'avait pas d'amies de son age. Son pere ne
s'occupait pas d'elle; sa maman l'aimait assez, mais elle ne pouvait
souffrir de lui voir aimer personne, pas meme des betes. Pourtant,
comme le medecin avait ordonne de la distraction, elle pensa que des
promenades a ane l'amuseraient suffisamment. Ma petite maitresse
s'appelait Pauline; elle etait triste et souvent malade; tres douce,
tres bonne et tres jolie. Tous les jours elle me montait; je la menais
promener dans les jolis chemins et les jolis petits bois que je
connaissais. Dans le commencement, un domestique ou une femme de chambre
l'accompagnait; mais quand on vit combien j'etais doux, bon et soigneux
pour ma petite maitresse, on la laissa aller seule. Elle m'appela
Cadichon: ce nom m'est reste.
"Va te promener avec Cadichon, lui disait son pere: avec un ane comme
celui-la, il n'y a pas de danger; il a autant d'esprit qu'on homme, et
il saura toujours te ramener a la maison."
Nous sortions donc ensemble. Quand elle etait fatiguee de marcher, je
me rangeais contre une butte de terre, ou bien descendais dans un petit
fosse pour qu'elle put monter facilement sur mon dos. Je la menais pres
des noisetiers charges de noisettes; je m'arretais pour la laisser en
cueillir a son aise. Ma petite maitresse m'aimait beaucoup; elle me
soignait, me caressait. Quand il faisait mauvais et que nous ne pouvions
pas sortir, elle venait me voir dans mon ecurie; elle m'apportait du
pain, de l'herbe fraiche, des feuilles de salade, des carottes; elle me
parlait, croyant que je ne la comprenais pas; elle me contait ses petis
chagrins, quelquefois elle pleurait.
"Oh! mon pauvre Cadichon, disait-elle; tu es un ane, et tu ne peux me
comprendre; et pourtant tu es mon seul ami; car a toi seul je puis dire
tout ce que je pense. Maman m'aime, mais elle est jalouse; elle veut que
je n'aime qu'elle; je ne connais personne de mon age, et je m'ennuie."
Et Pauline pleurait et me caressait. Je l'aimais aussi, et je la
plaignais, cette pauvre petite. Quand elle etait pres de moi, j'avais
soin de ne pas bouger, de peur de la blesser avec mes pieds.
Un jour, je vis Pauline accourir vers moi toute joyeuse.
"Cadichon, Cadichon, s'ecria-t-elle, maman m'a donne un medaillon de
ses cheveux; je veux y ajouter des tiens, car tu es aussi mon ami; je
t'aime, et j'aurai ainsi les cheveux de ceux que j'aime le plus au
monde."
En effet, Pauline coupa du poil a ma criniere, ouvrit son medai
|