vers les autres.
--Entete! bete brute! veux-tu tourner et passer le pont?
Je marche toujours vers les camarades; je les rejoins malgre les injures
et les coups de ce mechant garcon.
--Pourquoi bats-tu ton ane, Ernest? s'ecria Caroline; il est excellent.
Il t'a mene ventre a terre et t'a fait depasser Charles.
--Je le bats parce qu'il s'entete a ne pas vouloir passer le pont, dit
Ernest; il s'est obstine a revenir sur ses pas.
--Ah! bah! c'est parce qu'il etait seul; maintenant que nous voila tous
il passera le pont tout comme les autres.
Les malheureux! pensai-je. Ils vont tous tomber dans la riviere! Il faut
que je tache de leur montrer qu'il y a du danger. Et me voila reparti au
galop, courant vers le pont, a la grande satisfaction d'Ernest et aux
cris de joie des enfants.
Je galope jusqu'au pont; arrive la, je m'arrete brusquement comme si
j'avais peur. Ernest, etonne, me presse de continuer: je recule d'un air
de frayeur, qui surprend plus encore Ernest. L'imbecile ne voyait rien;
la planche pourrie etait pourtant bien visible. Les autres avaient
rejoint, et regardaient en riant les efforts d'Ernest pour me faire
passer et les miens pour ne pas passer. Ils finissent par descendre de
leurs anes; chacun me pousse, me bat sans pitie; je ne bouge pas.
--Tirez-le par la queue! s'ecrie Charles. Les anes sont si entetes, que
lorsqu'on veut les faire reculer, ils avancent.
Les voila qui veulent me saisir la queue. Je me defends en ruant; ils me
battent tous ensemble: je n'en bouge pas davantage.
--Attends, Ernest, dit Charles; je passerai le premier, ton ane me
suivra certainement.
Il veut avancer, je me mets en travers du pont; il me fait reculer a
force de coups.
"Au fait, me dis-je, si ce mechant garcon veut se noyer, qu'il se noie,
j'ai fait ce que j'ai pu pour le sauver; qu'il boive un coup, puisqu'il
le veut absolument."
A peine son ane met-il le pied sur la planche pourrie, qu'elle casse, et
voila Charles et son ane a l'eau. Pour son camarade, il n'y avait pas
de danger, car il savait nager comme tous les anes. Mais Charles se
debattait et criait sans pouvoir se tirer de la.
--Une perche! une perche! disait-il.
Les enfants criaient et couraient de tous cotes. Enfin Caroline apercoit
une longue perche, la ramasse et la presente a Charles, qui la saisit.
Son poids entraine Caroline, qui appelle _au secours!_ Ernest, Antoine
et Albert courent a elle; ils parviennent avec peine a retirer
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