e et le lichen avaient bonne odeur; c'etait un
bonheur d'etre en pleine campagne une pareille nuit, et il faisait bon
vivre.
Mais Samuel paraissait subir cette corvee nocturne avec une detestable
humeur, et ne me repondait meme plus.
Alors je lui pris la main pour la premiere fois, en signe d'amitie, et
lui fis en espagnol a peu pres ce discours:
--Mon bon Samuel, vous dormez chaque nuit sur la terre dure ou sur des
planches; l'herbe qui est ici est meilleure et sent bon comme le
serpolet. Dormez, et vous serez de plus belle humeur apres. N'etes-vous
pas content de moi? et qu'ai-je pu vous faire?
Sa main tremblait dans la mienne et la serrait plus qu'il n'eut ete
necessaire.
--_Che volete_, dit-il d'une voix sombre et troublee, _che volete mi?_
(Que voulez-vous de moi?) ...
Quelque chose d'inoui et de tenebreux avait un moment passe dans la tete
du pauvre Samuel;--dans le vieil Orient tout est possible!--et puis
il s'etait couvert la figure de ses bras, et restait la, terrifie de
lui-meme, immobile et tremblant ...
Mais, depuis cet instant etrange, il est a mon service corps et ame; il
joue chaque soir sa liberte et sa vie en entrant dans la maison
qu'Aziyade habite; il traverse, dans l'obscurite, pour aller la
chercher, ce cimetiere rempli pour lui de visions et de terreurs
mortelles; il rame jusqu'au matin dans sa barque pour veiller sur la
notre, ou bien m'attend toute la nuit, couche pele-mele avec cinquante
vagabonds, sur la _cinquieme_ dalle de pierre du quai de Salonique. Sa
personnalite est comme absorbee dans la mienne, et je le trouve partout
dans mon ombre, quels que soient le lieu et le costume que j'aie choisis,
pret a defendre ma vie au risque de la sienne.
XV
LOTI A PLUMKETT, LIEUTENANT DE MARINE
Salonique, mai 1876.
Mon cher Plumkett,
Vous pouvez me raconter, sans m'ennuyer jamais, toutes les choses
tristes ou saugrenues, ou meme gaies, qui vous passeront par la tete;
comme vous etes classe pour moi en dehors du " vil troupeau ", je lirai
toujours avec plaisir ce que vous m'ecrirez.
Votre lettre m'a ete remise sur la fin d'un diner au vin d'Espagne, et
je me souviens qu'elle m'a un peu, a premiere vue, abasourdi par son
ensemble original. Vous etes en effet " un drole de type ", mais cela,
je le savais deja. Vous etes aussi un garcon d'esprit, ce qui etait
connu. Mais ce n'est point la seulement ce que j'ai demele dans votre
longue lettre, je vous l'assure.
J'ai
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