ction, pas plus qu'a celle
de personne; mais vous etes, parmi les gens que j'ai rencontres deca et
dela dans le monde, un de ceux avec lesquels je puis trouver du plaisir
a vivre et a echanger mes impressions. S'il y a dans ma lettre quelque
peu d'epanchement, il ne faut pas m'en vouloir: j'avais bu du vin de
Chypre.
A present c'est passe; je suis monte sur le pont respirer l'air vif du
soir, et Salonique faisait pietre mine; ses minarets avaient l'air d'un
tas de vieilles bougies, posees sur une ville sale et noire ou
fleurissent les vices de Sodome. Quand l'air humide me saisit comme une
douche glacee, et que la nature prend ses airs ternes et piteux, je
retombe sur moi-meme; je ne retrouve plus au-dedans de moi que le vide
ecoeurant et l'immense ennui de vivre.
Je pense aller bientot a Jerusalem, ou je tacherai de ressaisir quelques
bribes de foi. Pour l'instant, mes croyances religieuses et
philosophiques, mes principes de morale, mes theories sociales, etc.,
sont representes par cette grande personnalite: le gendarme.
Je vous reviendrai sans doute en automne dans le Yorkshire. En
attendant, je vous serre les mains et je suis votre devoue.
LOTI.
XI
Ce fut une des epoques troublees de mon existence que ces derniers jours
de mai 1876.
Longtemps j'etais reste aneanti, le coeur vide, inerte, a force d'avoir
souffert; mais cet etat transitoire avait passe, et la force de la
jeunesse amenait le reveil. Je m'eveillais seul dans la vie; mes
dernieres croyances s'en etaient allees, et aucun frein ne me retenait
plus.
Quelque chose comme de l'amour naissait sur ces ruines, et l'Orient
jetait son grand charme sur ce reveil de moi-meme, qui se traduisait par
le trouble des sens.
XII
Elle etait venue habiter avec les trois autres femmes de son maitre un
yali de campagne, dans un bois, sur le chemin de Monastir; la, on la
surveillait moins.
Le jour je descendais en armes. Par grosse mer, toujours, un canot me
jetait sur les quais, au milieu de la foule des bateliers et des
pecheurs; et Samuel, place comme par hasard sur mon passage, recevait
par signes mes ordres pour la nuit.
J'ai passe bien des journees a errer sur ce chemin de Monastir. C'etait
une campagne nue et triste, ou l'oeil s'etendait a perte de vue sur des
cimetieres antiques; des tombes de marbre en ruine, dont le lichen
rongeait les inscriptions mysterieuses; des champs plantes de menhirs de
granit; des sepultures grecqu
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