e la soiree, au milieu du mois de
novembre, la grande Nanon alluma du feu pour la premiere fois. L'automne
avait ete tres beau. Ce jour etait un jour de fete bien connu des
Cruchotins et des Grassinistes. Aussi les six antagonistes se
preparaient-ils a venir armes de toutes pieces, pour se rencontrer dans
la salle et s'y surpasser en preuves d'amitie. Le matin tout Saumur
avait vu madame et mademoiselle Grandet, accompagnees de Nanon, se
rendant a l'eglise paroissiale pour y entendre la messe, et chacun se
souvint que ce jour etait l'anniversaire de la naissance de mademoiselle
Eugenie. Aussi, calculant l'heure ou le diner devait finir, maitre
Cruchot, l'abbe Cruchot et monsieur C. de Bonfons s'empressaient-ils
d'arriver avant les des Grassins peur feter mademoiselle Grandet. Tous
trois apportaient d'enormes bouquets cueillis dans leurs petites serres.
La queue des fleurs que le president voulait presenter etait
ingenieusement enveloppee d'un ruban de satin blanc, orne de franges
d'or. Le matin, monsieur Grandet, suivant sa coutume pour les jours
memorables de la naissance et de la fete d'Eugenie, etait venu la
surprendre au lit, et lui avait solennellement offert son present
paternel, consistant, depuis treize annees, en une curieuse piece d'or.
Madame Grandet donnait ordinairement a sa fille une robe d'hiver ou
d'ete, selon la circonstance. Ces deux robes, les pieces d'or qu'elle
recoltait au premier jour de l'an et a la fete de son pere, lui
composaient un petit revenu de cent ecus environ, que Grandet aimait a
lui voir entasser. N'etait-ce pas mettre son argent d'une caisse dans
une autre, et, pour ainsi dire, elever a la brochette l'avarice de son
heritiere, a laquelle il demandait parfois compte de son tresor,
autrefois grossi par les La Bertelliere, en lui disant:
--Ce sera ton _douzain_ de mariage. Le douzain est un antique usage
encore en vigueur et saintement conserve dans quelques pays situes au
centre de la France. En Berry, en Anjou, quand une jeune fille se marie,
sa famille ou celle de l'epoux doit lui donner une bourse ou se
trouvent, suivant les fortunes, douze pieces ou douze douzaines de
pieces ou douze cents pieces d'argent ou d'or. La plus pauvre des
bergeres ne se marierait pas sans son douzain, ne fut-il compose que de
gros sous. On parle encore a Issoudun de je ne sais quel douzain offert
a une riche heritiere et qui contenait cent quarante-quatre portugaises
d'or. Le pape Clement VII, oncle de
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