oir un but. Psch! a
demain les affaires serieuses, disait je ne sais quelle ganache grecque.
--Sainte-Vierge! qu'il est gentil, mon cousin, se dit Eugenie en
interrompant ses prieres qui ce soir-la ne furent pas finies.
Madame Grandet n'eut aucune pensee en se couchant. Elle entendait, par
la porte de communication qui se trouvait au milieu de la cloison,
l'avare se promenant de long en long dans sa chambre. Semblable a toutes
les femmes timides, elle avait etudie le caractere de son seigneur. De
meme que la mouette prevoit l'orage, elle avait, a d'imperceptibles
signes, pressenti la tempete interieure qui agitait Grandet, et, pour
employer l'expression dont elle se servait, elle faisait alors la morte.
Grandet regardait la porte interieurement doublee en tole qu'il avait
fait mettre a son cabinet, et se disait:
--Quelle idee bizarre a eue mon frere de me leguer son enfant? Jolie
succession! Je n'ai pas vingt ecus a donner. Mais qu'est-ce que vingt
ecus pour ce mirliflor qui lorgnait mon barometre comme s'il avait voulu
en faire du feu?
En songeant aux consequences de ce testament de douleur, Grandet etait
peut-etre plus agite que ne l'etait son frere au moment ou il le traca.
--J'aurais cette robe d'or?... disait Nanon qui s'endormit habillee de
son devant d'autel, revant de fleurs, de tabis, de damas, pour la
premiere fois de sa vie, comme Eugenie reva d'amour.
Dans la pure et monotone vie des jeunes filles, il vient une heure
delicieuse ou le soleil leur epanche ses rayons dans l'ame, ou la fleur
leur exprime des pensees, ou les palpitations du coeur communiquent au
cerveau leur chaude fecondance, et fondent les idees en un vague desir;
jour d'innocente melancolie et de suaves joyeusetes! Quand les enfants
commencent a voir, ils sourient; quand une fille entrevoit le sentiment
dans la nature, elle sourit comme elle souriait enfant. Si la lumiere
est le premier amour de la vie, l'amour n'est-il pas la lumiere du coeur?
Le moment de voir clair aux choses d'ici-bas etait arrive pour
Eugenie. Matinale comme toutes les filles de province, elle se leva de
bonne heure, fit sa priere, et commenca l'oeuvre de sa toilette,
occupation qui desormais allait avoir un sens. Elle lissa d'abord ses
cheveux chatains, tordit leurs grosses nattes au-dessus de sa tete avec
le plus grand soin, en evitant que les cheveux ne s'echappassent de
leurs tresses, et introduisit dans sa coiffure une symetrie qui rehaussa
la timide cand
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