oyage commandee pour aller
au-devant de son Annette, la grande dame que ... etc., et qu'il devait
rejoindre en juin prochain aux Eaux de Baden. Charles comptait
rencontrer cent personnes chez son oncle, chasser a courre dans les
forets de son oncle, y vivre enfin de la vie de chateau; il ne savait
pas le trouver a Saumur ou il ne s'etait informe de lui que pour
demander le chemin de Froidfond; mais, en le sachant en ville, il crut
l'y voir dans un grand hotel. Afin de debuter convenablement chez son
oncle, soit a Saumur, soit a Froidfond, il avait fait la toilette de
voyage la plus coquette, la plus simplement recherchee, la plus
adorable, pour employer le mot qui dans ce temps resumait les
perfections speciales d'une chose ou d'un homme. A Tours, un coiffeur
venait de lui refriser ses beaux cheveux chatains; il y avait change de
linge, et mis une cravate de satin noir combinee avec un col rond de
maniere a encadrer agreablement sa blanche et rieuse figure. Une
redingote de voyage a demi boutonnee lui pincait la taille, et laissait
voir un gilet de cachemire a chale sous lequel etait un second gilet
blanc. Sa montre, negligemment abandonnee au hasard dans une poche, se
rattachait par une courte chaine d'or a l'une des boutonnieres. Son
pantalon gris se boutonnait sur les cotes, ou des dessins brodes en soie
noire enjolivaient les coutures. Il maniait agreablement une canne dont
la pomme d'or sculpte n'alterait point la fraicheur de ses gants gris.
Enfin, sa casquette etait d'un gout excellent. Un Parisien, un Parisien
de la sphere la plus elevee, pouvait seul et s'agencer ainsi sans
paraitre ridicule, et donner une harmonie de fatuite a toutes ces
niaiseries, que soutenait d'ailleurs un air brave, l'air d'un jeune
homme qui a de beaux pistolets, le coup sur et Annette. Maintenant, si
vous voulez bien comprendre la surprise respective des Saumurois et du
jeune Parisien, voir parfaitement le vil eclat que l'elegance du
voyageur jetait au milieu des ombres grises de la salle, et des figures
qui composaient le tableau de famille, essayez de vous representer les
Cruchot. Tous les trois prenaient du tabac et ne songeaient plus depuis
longtemps a eviter ni les roupies, ni les petites galettes noires qui
parsemaient le jabot de leurs chemises rousses, a cols recroquevilles et
a plis jaunatres. Leurs cravates molles se roulaient en corde aussitot
qu'ils se les etaient attachees au cou. L'enorme quantite de linge qui
leur permetta
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