. Personne, pas meme madame Grandet, n'avait la
permission d'y venir, le bonhomme voulait y rester seul comme un
alchimiste a son fourneau. La, sans doute, quelque cachette avait ete
tres habilement pratiquee, la s'emmagasinaient les titres de propriete,
la pendaient les balances a peser les louis, la se faisaient nuitamment
et en secret les quittances, les recus, les calculs; de maniere que les
gens d'affaires, voyant toujours Grandet pret a tout, pouvaient imaginer
qu'il avait a ses ordres une fee ou un demon. La, sans doute, quand
Nanon ronflait a ebranler les planchers, quand le chien-loup veillait et
baillait dans la cour, quand madame et mademoiselle Grandet etaient bien
endormies, venait le vieux tonnelier choyer, caresser, couver, cuver,
cercler son or. Les murs etaient epais, les contrevents discrets. Lui
seul avait la clef de ce laboratoire, ou, dit-on, il consultait des
plans sur lesquels ses arbres a fruits etaient designes et ou il
chiffrait ses produits a un provin, a une bourree pres. L'entree de la
chambre d'Eugenie faisait face a cette porte muree. Puis, au bout du
palier, etait l'appartement des deux epoux qui occupaient tout le devant
de la maison. Madame Grandet avait une chambre contigue a celle
d'Eugenie, chez qui l'on entrait par une porte vitree. La chambre du
maitre etait separee de celle de sa femme par une cloison, et du
mysterieux cabinet par un gros mur. Le pere Grandet avait loge son neveu
au second etage, dans la haute mansarde situee au-dessus de sa chambre,
de maniere a pouvoir l'entendre, s'il lui prenait fantaisie d'aller et
de venir. Quand Eugenie et sa mere arriverent au milieu du palier, elles
se donnerent le baiser du soir; puis, apres avoir dit a Charles
quelques mots d'adieu, froids sur les levres, mais certes chaleureux au
coeur de la fille, elles rentrerent dans leurs chambres.
--Vous voila chez vous, mon neveu, dit le pere Grandet a Charles en lui
ouvrant sa porte. Si vous aviez besoin de sortir, vous appelleriez
Nanon. Sans elle, votre serviteur! le chien vous mangerait sans vous
dire un seul mot. Dormez bien. Bonsoir. Ha! ha! ces dames vous ont
fait du feu, reprit-il. En ce moment la grande Nanon apparut, armee
d'une bassinoire.
--En voila bien d'une autre! dit monsieur Grandet. Prenez-vous mon
neveu pour une femme en couches? Veux-tu bien remporter ta braise,
Nanon.
--Mais, monsieur, les draps sont humides, et ce monsieur est vraiment
mignon comme une femme.
--Allo
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