uait les arbres, faisait tomber les fruits, balayait les feuilles
mortes, je me disais que, s'il y avait eu un risque pour que Saint-Loup
se fut trompe, ou que j'eusse mal compris sa lettre et que mon diner
avec Mme de Stermaria ne me conduisit a rien, j'eusse donne rendez-vous
pour le meme soir tres tard a Albertine, afin d'oublier pendant une
heure purement voluptueuse, en tenant dans mes bras le corps dont ma
curiosite avait jadis suppute, soupese tous les charmes dont il
surabondait maintenant, les emotions et peut-etre les tristesses de ce
commencement d'amour pour Mme de Stermaria. Et certes, si j'avais pu
supposer que Mme de Stermaria ne m'accorderait aucune faveur le premier
soir, je me serais represente ma soiree avec elle d'une facon assez
decevante. Je savais trop bien par experience comment les deux stades
qui se succedent en nous, dans ces commencements d'amour pour une femme
que nous avons desiree sans la connaitre, aimant plutot en elle la vie
particuliere ou elle baigne qu'elle-meme presque inconnue
encore,--comment ces deux stades se refletent bizarrement dans le
domaine des faits, c'est-a-dire non plus en nous-meme, mais dans nos
rendez-vous avec elle. Nous avons, sans avoir jamais cause avec elle,
hesite, tentes que nous etions par la poesie qu'elle represente pour
nous. Sera-ce elle ou telle autre? Et voici que les reves se fixent
autour d'elle, ne font plus qu'un avec elle. Le premier rendez-vous avec
elle, qui suivra bientot, devrait refleter cet amour naissant. Il n'en
est rien. Comme s'il etait necessaire que la vie materielle eut aussi
son premier stade, l'aimant deja, nous lui parlons de la facon la plus
insignifiante: "Je vous ai demande de venir diner dans cette ile parce
que j'ai pense que ce cadre vous plairait. Je n'ai du reste rien de
special a vous dire. Mais j'ai peur qu'il ne fasse bien humide et que
vous n'ayez froid.--Mais non.--Vous le dites par amabilite. Je vous
permets, madame, de lutter encore un quart d'heure contre le froid, pour
ne pas vous tourmenter, mais dans un quart d'heure, je vous ramenerai de
force. Je ne veux pas vous faire prendre un rhume." Et sans lui avoir
rien dit, nous la ramenons, ne nous rappelant rien d'elle, tout au plus
une certaine facon de regarder, mais ne pensant qu'a la revoir. Or, la
seconde fois (ne retrouvant meme plus le regard, seul souvenir, mais ne
pensant plus malgre cela qu'a la revoir) le premier stade est depasse.
Rien n'a eu lieu dans l'inte
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