n recherche principalement dans la vie. Ici,
fut-ce dans une petite ville de province, vous trouverez des passionnes
de musique; le meilleur de leur temps, le plus clair de leur argent se
passe aux seances de musique de chambre, aux reunions ou on cause
musique, au cafe ou l'on se retrouve entre amateurs et ou on coudoie les
musiciens de l'orchestre. D'autres epris d'aviation tiennent a etre bien
vus du vieux garcon du bar vitre perche au haut de l'aerodrome; a l'abri
du vent, comme dans la cage en verre d'un phare, il pourra suivre, en
compagnie d'un aviateur qui ne vole pas en ce moment, les evolutions
d'un pilote executant des loopings, tandis qu'un autre, invisible
l'instant d'avant, vient atterrir brusquement, s'abattre avec le grand
bruit d'ailes de l'oiseau Roch. La petite coterie qui se retrouvait pour
tacher de perpetuer, d'approfondir, les emotions fugitives du proces
Zola, attachait de meme une grande importance a ce cafe. Mais elle y
etait mal vue des jeunes nobles qui formaient l'autre partie de la
clientele et avaient adopte une seconde salle du cafe, separee seulement
de l'autre par un leger parapet decore de verdure. Ils consideraient
Dreyfus et ses partisans comme des traitres, bien que vingt-cinq ans
plus tard, les idees ayant eu le temps de se classer et le dreyfusisme
de prendre dans l'histoire une certaine elegance, les fils,
bolchevisants et valseurs, de ces memes jeunes nobles dussent declarer
aux "intellectuels" qui les interrogeaient que surement, s'ils avaient
vecu en ce temps-la, ils eussent ete pour Dreyfus, sans trop savoir
beaucoup plus ce qu'avait ete l'Affaire que la comtesse Edmond de
Pourtales ou la marquise de Galliffet, autres splendeurs deja eteintes
au jour de leur naissance. Car, le soir du brouillard, les nobles du
cafe qui devaient etre plus tard les peres de ces jeunes intellectuels
retrospectivement dreyfusards etaient encore garcons. Certes, un riche
mariage etait envisage par les familles de tous, mais n'etait encore
realise pour aucun. Encore virtuel, il se contentait, ce riche mariage
desire a la fois par plusieurs (il y avait bien plusieurs "riches
partis" en vue, mais enfin le nombre des fortes dots etait beaucoup
moindre que le nombre des aspirants), de mettre entre ces jeunes gens
quelque rivalite.
Le malheur voulut pour moi que, Saint-Loup etant reste quelques minutes
a s'adresser au cocher afin qu'il revint nous prendre apres avoir dine,
il me fallut entrer seul. Or,
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