fie, et on entre en
conversation avec les gens qu'on foudroyait du regard autrefois. Bonne
chance a ceux de ces gens-la qui ont eu la patience d'attendre et de qui
le caractere est assez bien fait--si l'on doit ainsi dire--pour qu'ils
eprouvent du plaisir a recevoir vers la quarantaine la bonne grace et
l'accueil qu'on leur avait sechement refuses a vingt ans.
A propos du prince de Foix il convient de dire, puisque l'occasion s'en
presente, qu'il appartenait a une coterie de douze a quinze jeunes gens
et a un groupe plus restreint de quatre. La coterie de douze a quinze
avait cette caracteristique, a laquelle echappait, je crois, le prince,
que ces jeunes gens presentaient chacun un double aspect. Pourris de
dettes, ils semblaient des rien-du-tout aux yeux de leurs fournisseurs,
malgre tout le plaisir que ceux-ci avaient a leur dire: "Monsieur le
Comte, monsieur le Marquis, monsieur le Duc..." Ils esperaient se tirer
d'affaire au moyen du fameux "riche mariage", dit encore "gros sac", et
comme les grosses dots qu'ils convoitaient n'etaient qu'au nombre de
quatre ou cinq, plusieurs dressaient sourdement leurs batteries pour la
meme fiancee. Et le secret etait si bien garde que, quand l'un d'eux
venant au cafe disait: "Mes excellents bons, je vous aime trop pour ne
pas vous annoncer mes fiancailles avec Mlle d'Ambresac", plusieurs
exclamations retentissaient, nombre d'entre eux, croyant deja la chose
faite pour eux-memes avec elle, n'ayant pas le sang-froid necessaire
pour etouffer au premier moment le cri de leur rage et de leur
stupefaction: "Alors ca te fait plaisir de te marier, Bibi?" ne pouvait
s'empecher de s'exclamer le prince de Chatellerault, qui laissait tomber
sa fourchette d'etonnement et de desespoir, car il avait cru que les
memes fiancailles de Mlle d'Ambresac allaient bientot etre rendues
publiques, mais avec lui, Chatellerault. Et pourtant, Dieu sait tout ce
que son pere avait adroitement conte aux Ambresac contre la mere de
Bibi. "Alors ca t'amuse de te marier?" ne pouvait-il s'empecher de
demander une seconde fois a Bibi, lequel, mieux prepare puisqu'il avait
eu tout le temps de choisir son attitude depuis que c'etait "presque
officiel", repondait en souriant: "Je suis content non pas de me marier,
ce dont je n'avais guere envie, mais d'epouser Daisy d'Ambresac que je
trouve delicieuse." Le temps qu'avait dure cette reponse, M. de
Chatellerault s'etait ressaisi, mais il songeait qu'il fallait au plus
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