e l'air
exceptionnellement joyeux qu'expliquaient la douce atmosphere de la
salle ou excepte a ma place il faisait chaud, la vive lumiere qui
faisait cligner les yeux deja habitues a ne pas voir et le bruit des
causeries qui rendait aux oreilles leur activite.
Les arrivants avaient peine a garder le silence. La singularite des
peripeties, qu'ils croyaient uniques, leur brulaient la langue, et ils
cherchaient des yeux quelqu'un avec qui engager la conversation. Le
patron lui-meme perdait le sentiment des distances: "M. le prince de
Foix s'est perdu trois fois en venant de la porte Saint-Martin", ne
craignit-il pas de dire en riant, non sans designer, comme dans une
presentation, le celebre aristocrate a un avocat israelite qui, tout
autre jour, eut ete separe de lui par une barriere bien plus difficile a
franchir que la baie ornee de verdures. "Trois fois! voyez-vous ca", dit
l'avocat en touchant son chapeau. Le prince ne gouta pas la phrase de
rapprochement. Il faisait partie d'un groupe aristocratique pour qui
l'exercice de l'impertinence, meme a l'egard de la noblesse quand elle
n'etait pas de tout premier rang, semblait etre la seule occupation. Ne
pas repondre a un salut; si l'homme poli recidivait, ricaner d'un air
narquois ou rejeter la tete en arriere d'un air furieux; faire semblant
de ne pas connaitre un homme age qui leur aurait rendu service; reserver
leur poignee de main et leur salut aux ducs et aux amis tout a fait
intimes des ducs que ceux-ci leur presentaient, telle etait l'attitude
de ces jeunes gens et en particulier du prince de Foix. Une telle
attitude etait favorisee par le desordre de la prime jeunesse (ou, meme
dans la bourgeoisie, on parait ingrat et on se montre mufle parce
qu'ayant oublie pendant des mois d'ecrire a un bienfaiteur qui vient de
perdre sa femme, ensuite on ne le salue plus pour simplifier), mais elle
etait surtout inspiree par un snobisme de caste suraigu. Il est vrai
que, a l'instar de certaines affections nerveuses dont les
manifestations s'attenuent dans l'age mur, ce snobisme devait
generalement cesser de se traduire d'une facon aussi hostile chez ceux
qui avaient ete de si insupportables jeunes gens. La jeunesse une fois
passee, il est rare qu'on reste confine dans l'insolence. On avait cru
qu'elle seule existait, on decouvre tout d'un coup, si prince qu'on
soit, qu'il y a aussi la musique, la litterature, voire la deputation.
L'ordre des valeurs humaines s'en trouvera modi
|