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e sur laquelle les minutes heureuses de Balbec avaient passe leur patine. Quand je me retrouvai seul chez moi, me rappelant que j'avais ete faire une course l'apres-midi avec Albertine, que je dinais le surlendemain chez Mme de Guermantes, et que j'avais a repondre a une lettre de Gilberte, trois femmes que j'avais aimees, je me dis que notre vie sociale est, comme un atelier d'artiste, remplie des ebauches delaissees ou nous avions cru un moment pouvoir fixer notre besoin d'un grand amour, mais je ne songeai pas que quelquefois, si l'ebauche n'est pas trop ancienne, il peut arriver que nous la reprenions et que nous en fassions une oeuvre toute differente, et peut-etre meme plus importante que celle que nous avions projetee d'abord. Le lendemain, il fit froid et beau: on sentait l'hiver (et, de fait, la saison etait si avancee que c'etait miracle si nous avions pu trouver dans le Bois deja saccage quelques domes d'or vert). En m'eveillant je vis, comme de la fenetre de la caserne de Doncieres, la brume mate, unie et blanche qui pendait gaiement au soleil, consistante et douce comme du sucre file. Puis le soleil se cacha et elle s'epaissit encore dans l'apres-midi. Le jour tomba de bonne heure, je fis ma toilette, mais il etait encore trop tot pour partir; je decidai d'envoyer une voiture a Mme de Stermaria. Je n'osai pas y monter pour ne pas la forcer a faire la route avec moi, mais je remis au cocher un mot pour elle ou je lui demandais si elle permettait que je vinsse la prendre. En attendant, je m'etendis sur mon lit, je fermai les yeux un instant, puis les rouvris. Au-dessus des rideaux, il n'y avait plus qu'un mince lisere de jour qui allait s'obscurcissant. Je reconnaissais cette heure inutile, vestibule profond du plaisir, et dont j'avais appris a Balbec a connaitre le vide sombre et delicieux, quand, seul dans ma chambre comme maintenant, pendant que tous les autres etaient a diner, je voyais sans tristesse le jour mourir au-dessus des rideaux, sachant que bientot, apres une nuit aussi courte que les nuits du pole, il allait ressusciter plus eclatant dans le flamboiement de Rivebelle. Je sautai a bas de mon lit, je passai ma cravate noire, je donnai un coup de brosse a mes cheveux, gestes derniers d'une mise en ordre tardive, executes a Balbec en pensant non a moi mais aux femmes que je verrais a Rivebelle, tandis que je leur souriais d'avance dans la glace oblique de ma chambre, et restes a cause de cela les
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