tot un son pareil. Quelques instants se sont a peine ecoules, et deja
une barque, cachee dans une autre cave de rocher, glisse sur les flots, et
s'approche d'elle.
"Seul? lui dit en langue turque un des deux matelots qui la dirigent.
--Seul, repond Naam; mais voici la bague du maitre. Obeissez, et
conduisez-moi aupres d'Hussein."
Les deux matelots hissent leur voile latine, Naam s'elance dans la barque
et quitte rapidement le rivage. La signora Soranzo est a sa fenetre; elle
a cru entendre le bruit des rames et le son incertain d'une voix humaine.
Le levrier fait entendre un grognement sourd, temoignage de haine.
"C'est Naama [_Naama_ est le masculin du nom propre de _Naam_ (feminin).]
tout seul, dit la belle Venitienne; Soranzo, du moins, repose cette nuit
sous le meme toit que sa triste compagne."
L'inquietude la devore.
"Il est blesse! il souffre! il est seul peut-etre! Son inseparable
serviteur l'a quitte cette nuit. Si j'allais ecouter doucement a sa porte,
j'entendrais le bruit de sa respiration! Je saurais s'il dort. Et s'il est
en proie a la douleur, a l'ennui des tenebres et de la solitude, peut-etre
ne meprisera-t-il pas mes soins."
Elle s'enveloppe d'un long voile blanc, et comme une ombre inquiete, comme
un rayon flottant de la lune, elle se glisse dans les detours du chateau.
Elle trompe la vigilance des sentinelles qui gardent la porte de la tour
habitee par Orio. Elle sait que Naama est absent: Naama, le seul gardien
qui ne s'endorme jamais a son poste, le seul qui ne se laisse pas seduire
par les promesses, ni gagner par les prieres, ni intimider par les
menaces.
Elle est arrivee a la porte d'Orio, sans eveiller le moindre echo sur les
paves sonores, sans effleurer de son voile les murailles indiscretes. Elle
prete l'oreille, son coeur palpitant brise sa poitrine; mais elle retient
son souffle. La porte d'Orio est mieux gardee par la peur qu'il inspire
que par une legion de soldats. Giovanna ecoute, prete a s'enfuir au
moindre bruit. La voix de Soranzo s'eleve, sinistre dans le silence et
dans les tenebres. La crainte de se trahir par la fuite enchaine la
Venitienne tremblante au seuil de l'appartement conjugal. Soranzo est en
proie aux fantomes du sommeil. Il parle avec agitation, avec fureur, dans
le delire des songes. Ses paroles entrecoupees ont-elles revele quelque
affreux mystere? Giovanna s'enfuit epouvantee; elle retourne a sa chambre
et tombe consternee, demi-morte, sur son divan
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