demande a se jeter dans des barques pour aller a la decouverte. Orio leur
avait fait defendre par Leontio de bouger, sous peine de la vie. Le bruit
avait cesse. Sans doute la galere d'Ezzelin, masquee par l'ile nord-ouest,
cinglait victorieuse vers Corfou. En si peu d'instants, une fine voiliere,
si bien armee et si bravement defendue, ne pouvait etre tombee au pouvoir
des pirates. Personne ne s'inquietait plus de son sort, personne, excepte
le gouverneur et son acolyte silencieux. Ils etaient toujours penches sur
les creneaux de la tour. Le soleil montait toujours, et le silence ne
cessait point.
Enfin les trois coups se firent entendre a la cinquieme heure du jour.
"C'en est fait! maitre, dit Naam, le bel Ezzelin a vecu.
--Deux heures pour piller un navire, dit Orio en haussant les epaules. Les
brutes! que pourraient-ils sans moi? Rien. Mais a present, que la foudre
du ciel les ecrase, que le canon venitien les balaye, et que les abimes de
la mer les engloutissent. J'en ai fini avec eux. Ils m'ont delivre
d'Ezzelin, et la moisson est rentree!
--Maitre, tu vas maintenant te rendre aupres de ta femme. Elle est fort
malade et presque mourante, dit-on. Il y a deux heures qu'elle te fait
demander. Je te l'ai repete plusieurs fois, tu ne m'as pas entendue.
--Dis que je n'ai pas ecoute! Vraiment, j'avais bien autre chose dans
l'esprit que les visions d'une femme jalouse! Que me veut-elle?
--Maitre, tu vas ceder a sa demande. Allah maudit l'homme qui meprise sa
femme legitime, encore plus que celui qui maltraite son esclave fidele. Tu
as ete pour moi un bon maitre; sois un bon epoux pour ta Venitienne.
Allons, viens."
Orio ceda; Naam etait le seul etre qui put faire ceder Orio quelquefois.
Giovanna etait etendue roide et sans mouvement sur son divan. Ses joues
sont livides, ses levres froides, sa respiration est brulante. Elle se
ranime cependant a la voix de Naam qui la presse de tendres questions, et
qui couvre ses mains de baisers fraternels.
"Ma soeur Zoana, lui dit la jeune Arabe dans cette langue que Giovanna
n'entend pas, prends courage, ne t'abandonne pas ainsi a la douleur. Ton
epoux revient vers toi, et jamais ta soeur Naam ne cherchera a te ravir sa
tendresse. Le prophete l'ordonne ainsi; et jamais, parmi les cent femmes
dont je fus la plus aimee, il n'y en eut une seule qui put se plaindre
avec quelque raison de la preference du maitre pour moi. Naam a toujours
eu l'ame genereuse; et de meme qu'on
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