de fumee comme les sombres esprits qui protegent le crime et
se plaisent dans le desastre. Peu a peu elles se detachent de la muraille,
et ces pales geants tombent par morceaux sur le pave avec un bruit sec et
sinistre.
Mais rien dans cette scene d'epouvante, a laquelle preside silencieusement
Naam, n'est aussi effrayant que Naam elle-meme. Si une des victimes, dont
les ossements noircis gisent deja dans la cendre, pouvait se ranimer un
instant et voir Naam eclairee par ces reflets livides, la levre contractee
d'horreur, mais le front arme d'une resolution inexorable, elle
retomberait foudroyee comme a l'aspect de l'ange de la mort. Jamais Azrael
n'apparut aux hommes plus terrible et plus beau que ne l'est a cette heure
l'etre mysterieux et bizarre qui preside froidement aux vengeances d'Orio.
Cependant les vitres tombent en eclats, et l'incendie va se repandre. Naam
songe a executer les ordres de son maitre et a donner l'alarme. Mais d'ou
vient qu'Orio l'a quittee sans lui dire de l'accompagner? Dans l'horreur
de l'oeuvre qu'ils ont accomplie ensemble, Naam a obei machinalement, et
maintenant un effroi subit, une sollicitude genereuse s'emparent de ce
coeur de tigre. Elle oublie de sonner la cloche, et, franchissant d'un
pied rapide les escaliers et les galeries qui separent la grande tour du
palais de bois, elle s'elance vers les appartements de Giovanna. Un
profond silence y regne. Naam ne s'etonne pas de ne point rencontrer dans
les chambres qu'elle traverse precipitamment les femmes qui servent
Giovanna. La negresse fidele, dont le hamac est ordinairement suspendu en
travers de la porte de sa maitresse, n'est pas la non plus. Naam ignore
que, sous pretexte d'avoir un rendez-vous d'amour avec sa femme, Orio a
eloigne d'avance toutes ses servantes. Elle pense qu'au contraire son
premier soin a ete de venir chercher Giovanna, afin de la soustraire a
l'incendie. Cependant Naam n'est pas tranquille; elle penetre dans la
chambre de Giovanna. Un profond silence regne la comme partout, et la
lampe jette une si faible clarte que Naam ne distingue d'abord que
confusement les objets. Elle voit pourtant Giovanna couchee sur son lit,
et s'etonne du peu d'empressement qu'Orio a mis a l'avertir du danger qui
la menace. En cet instant, Naam est saisie d'une terreur qu'elle n'a point
encore eprouvee, ses genoux tremblent. Elle n'ose avancer. Le levrier, au
lieu de se jeter sur elle avec rage comme a l'ordinaire, s'est approche
d
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