quitte le lit d'Orio et souleve sans
bruit le rideau de la croisee. Elle trouve Giovanna gisante, s'etonne,
s'emeut et garde un genereux silence; puis, se rapprochant d'Orio, elle
abaisse sur lui les courtines de son lit, retourne aupres de Giovanna, la
prend dans ses bras, la releve, et, sans eveiller personne, la reporte
dans sa chambre.
Orio ignora ce que Giovanna avait ose. Il la tint captive dans ses
appartements et n'alla plus jamais s'informer d'elle. Naam essaya en vain
de l'adoucir en sa faveur. Cette fois Naam fut sans persuasion, et Orio
lui sembla manquer de confiance et rouler en lui-meme quelque sinistre
dessein.
Les soins de Naam ont gueri la blessure d'Orio en peu de jours. La mort
d'Ezzelin parait constatee; nulle part on n'a retrouve aucun indice qui
ait pu faire croire a son salut. S'il etait possible d'echapper a la
ferocite impetueuse des pirates, il ne le serait pas d'echapper a la haine
reflechie de Soranzo. Giovanna ne se plaint plus; elle ne parait plus
souffrir; elle ne se penche plus les soirs a sa fenetre; elle n'ecoute
plus les bruits vagues de la nuit. Quand Naam lui chante les airs de son
pays en s'accompagnant du luth ou de la mandore, elle n'entend pas et
sourit. Quelquefois elle tient un livre et semble lire; mais ses yeux
restent fixes des heures entieres sur la meme page, et son esprit n'est
point la. Elle est plus distraite et moins abattue qu'avant la mort
d'Ezzelin. Souvent on la surprend a genoux, les yeux leves vers le ciel et
ravie dans une sorte d'extase. Giovanna a trouve enfin le calme du
desespoir; elle a fait un voeu: elle n'aime plus rien sur la terre. Elle
semble avoir recouvre la volonte de vivre. Deja elle redevient belle, et
la pourpre de la sante commence a refleurir sur son visage.
Morosini a appris le desastre d'Ezzelin, et son ame s'indigne de
l'insolence des pirates. La perte de ce noble et fidele serviteur de la
republique remplit de douleur l'amiral et toute l'armee. On celebre pour
lui un service funebre sur les navires de la flotte venitienne, et le port
de Corfou retentit des lugubres saluts du canon qui annoncent a l'armee la
triste fin d'un de ses plus vaillants officiers. On murmure contre
l'inaction et la lachete de Soranzo. Morosini commence a concevoir des
soupcons graves; mais sa prudence scrupuleuse commande le silence. Il
envoie a son neveu l'ordre de venir sur-le-champ le trouver pour lui
rendre compte de sa conduite, et de laisser le commandem
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