onde, ceux que le penseur accueille.
Par les armes, le Lorrain avait fonde sa race; par les armes, il essaye
heroiquement de la proteger. Presse par les etrangers, il n'eut pas le
loisir de chercher d'autres procedes pour etre un homme libre. Comment
eut-il developpe ces dons d'ironie, ce realisme humain si noble qu'il
nous fit entrevoir? Il bataillait sans treve a cote de son duc. Le
loyalisme ducal, en Lorraine, s'est fondu plus etroitement que partout
ailleurs avec l'idee de patrie. Dans sa misere, cette race se consolait
d'etre mutilee de ses qualites naissantes en aimant ses ducs, qui furent
souvent des princes exemplaires et jamais de mauvais hommes. Que je
depense la meme energie, la meme perseverance a me proteger contre les
etrangers, contre les Barbares, alors je serai un homme libre.
* * * * *
SIXIEME JOURNEE
CONCLUSION.--LA SOIREE D'HAROUE
Simon, un peu gate, selon moi, par l'education de la rue
Saint-Guillaume, ne goutait qu'a demi mes intuitions. C'est un historien
d'une reserve extreme. Il collectionne et cote les petits faits, sans
consentir a recevoir d'eux cette abondante emotion qui, pour moi, est
toute l'histoire. Or, les vieilles choses de Lorraine, en huit jours,
avaient reveille des belles-aux-bois qui sommeillent en mon ame; Simon
me laissa tout a les caresser. Il me preceda a Saint-Germain; d'ailleurs
des repas mediocres, toujours, l'indisposerent.
* * * * *
Je n'ai pas oublie cette soiree silencieuse, vers les cinq heures, dans
la petite ville d'Haroue, ou la vieille place est abritee de noyers
malades. Le soleil de fevrier, en s'inclinant, avait laisse dans l'air
quelque douceur. J'allai, desoeuvre, jusqu'a l'etang que forment les
fosses ecroules d'un chateau pompeux, bati sous Leopold, et dont la
froide imperiosite contrarie le paysage. Je m'ennuyais d'un ennui mol,
et toujours les plaines d'eau me disposerent a la melancolie. Il me
sembla que l'eau elle-meme, sous ce climat, desormais vivait avec
mediocrite. Je sentais bien que des parcelles de l'ancienne ame de
Lorraine, eparses encore dans ce paysage malingre d'hiver, faisaient
effort pour me distraire; mais la ruine de ma nation m'avait trop lasse
pour que sa douceur posthume me consolat de sa vigueur abolie; et une
triste migraine me venait du plein air.
Le pale soleil couchant offensait mes yeux, stries de fibrilles par la
lampe tard allumee sur les actes et
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