tomatisme. Il est tel que
la conscience plus ou moins vague que nous pouvons en prendre n'y change
rien. Quelque chose d'eternel git en nous, dont nous n'avons que
l'usufruit, et cette jouissance meme, nos morts nous la reglent. Tous
les maitres qui nous ont precedes et que j'ai tant aimes, et non
seulement les Hugo, les Michelet, mais ceux qui font transition, les
Taine et les Renan, croyaient a une raison independante existant en
chacun de nous et qui nous permet d'approcher la verite. L'individu, son
intelligence, sa faculte de saisir les lois de l'univers! Il faut en
rabattre. Nous ne sommes pas les maitres des pensees qui naissent en
nous. Elles sont des facons de reagir ou se traduisent de tres anciennes
dispositions physiologiques. Selon le milieu ou nous sommes plonges,
nous elaborons des jugements et des raisonnements. Il n'y a pas d'idees
personnelles; les idees meme les plus rares, les jugements meme les plus
abstraits, les sophismes de la metaphysique la plus infatuee sont des
facons de sentir generales et apparaissent necessairement chez tous les
etres de meme organisme assieges par les memes images. Notre raison,
cette reine enchainee, nous oblige a placer nos pas sur les pas de nos
predecesseurs.
Dans cet exces d'humiliation, une magnifique douceur nous apaise, nous
persuade d'accepter nos esclavages: c'est, si l'on veut bien comprendre,
--et non pas seulement dire du bout des levres, mais se representer
d'une maniere sensible,--que nous sommes le prolongement et la
continuite de nos peres et meres.
C'est peu de dire que les morts pensent et parlent par nous; toute la
suite des descendants ne fait qu'un meme etre. Sans doute, celui-ci,
sous l'action de la vie ambiante, pourra montrer une plus grande
complexite, mais elle ne le denaturera pas. C'est comme un ordre
architectural que l'on perfectionne: c'est toujours le meme ordre. C'est
comme une maison ou l'on introduit d'autres dispositions: non seulement
elle repose sur les memes assises, mais encore elle est faite des memes
moellons, et c'est toujours la meme maison. Celui qui se laisse penetrer
de ces certitudes abandonne la pretention de sentir mieux, de penser
mieux, de vouloir mieux que son pere et sa mere; il se dit; "Je suis
eux-memes."
De cette conscience, quelles consequences, dans tous les ordres, il
tirera! Quelle acceptation! Vous l'entrevoyez. C'est tout un vertige
delicieux ou l'individu se defait pour se ressaisir dans la famille,
d
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