onscience. Ils etaient epars en moi, tels qu'au soir de mon abattement
d'Haroue; je l'ai priee de les concilier et de leur donner du style. Et
tandis que je contemplais sa beaute, j'ai senti ma force qui, sans
s'accroitre d'elements nouveaux, prenait une merveilleuse intensite.
* * * * *
Venise, me disais-je, fut batie sur les lagunes par un groupe d'hommes
jaloux de leur independance; cette fierte d'etre libre, elle la conserva
toujours; sa politique, ses moeurs, ses arts jamais ne subirent les
etrangers.--Ainsi le premier trait de ma vie intellectuelle est de fuir
les Barbares, les etrangers; et le perpetuel ressort de ma vertu, c'est
que je me veux homme libre.
Venise, pour avoir ete heroique contre les etrangers, amassa dans l'ame
de ses citoyens les plus beaux desinteressements.--Ainsi, je fus
toujours emu d'une sorte de generosite naturelle, je hais l'hypocrisie
des austeres, l'etroitesse des fanatiques et toutes les banalites de la
majorite. Toutefois j'avoue ne pas conserver souvenir des luttes qu'en
d'autres corps, jadis, mon Etre a du soutenir pour acquerir ces vertus.
Venise, qui jusqu'alors luttait pour exister, ne se forme une vision
personnelle de l'univers que sous une legere atteinte de douceur
mystique: Memling, venu d'Allemagne, fait naitre Jean Bellin.--De meme,
c'est par ce besoin de protection que connurent toutes les enfances
mortifiees, et par l'enseignement metaphysique d'outre-Rhin, que je fus
eveille a me faire des choses une idee personnelle. A douze ans, dans la
chapelle de mon college, je lisais avec acharnement les psaumes de la
Penitence, pour tromper mon ecoeurement; et plus tard, dans l'intrigue
de Paris, le soir, je me suis libere de moi-meme parmi les ivresses
confuses de Fichte et dans l'orgueil un peu sec de Spinoza.
Si fievreux et changeant que je paraisse, la vision saine que se faisait
de l'univers le Titien ne contrarie pas l'analogie de mon Etre et de
l'Etre de Venise.--Il est clair que jamais je n'atteignis la paix qu'on
lui voit, mais c'est pour y parvenir que toujours je m'agitai. Si je
suis inquiet sans treve, c'est parce que j'ai en moi la notion obscure
ou le regret de cette serenite. Ma febrilite actuelle n'est sans doute
qu'un secret instinct de mon Etre, qui se souvient d'avoir possede,
entrevu ces heures fortes et paisibles marquees a Venise par Titien.
Rien au plus intime de moi ne repond au genie violent de Tintoret. Mon
syst
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