peuple, et a sa noblesse, quand il se
fut gaiement mis a table pour feter cette heureuse naissance,
alors la reine, restee seule dans sa chambre, fut prise, pour la
seconde fois, des douleurs de l'enfantement, et donna le jour a un
second fils.
-- Oh! dit le prisonnier trahissant une instruction plus grande
que celle qu'il avouait, je croyais que Monsieur n'etait ne
qu'en...
Aramis leva le doigt.
-- Attendez que je continue, dit-il.
Le prisonnier poussa un soupir impatient, et attendit.
-- Oui, dit Aramis, la reine eut un second fils, un second fils
que dame Perronnette, la sage-femme, recut dans ses bras.
-- Dame Perronnette! murmura le jeune homme.
-- On courut aussitot a la salle ou le roi dinait; on le prevint
tout bas de ce qui arrivait; il se leva de table et accourut.
Mais, cette fois, ce n'etait plus la gaiete qu'exprimait son
visage, c'etait un sentiment qui ressemblait a de la terreur. Deux
fils jumeaux changeaient en amertume la joie que lui avait causee
la naissance d'un seul, attendu que ce que je vais vous dire, vous
l'ignorez certainement, attendu qu'en France c'est l'aine des fils
qui regne apres le pere.
-- Je sais cela.
-- Et que les medecins et les jurisconsultes pretendent qu'il y a
lieu de douter si le fils qui sort le premier du sein de sa mere
est l'aine de par la loi de Dieu et de la nature.
Le prisonnier poussa un cri etouffe, et devint plus blanc que le
drap sous lequel il se cachait.
-- Vous comprenez maintenant, poursuivit Aramis, que le roi, qui
s'etait vu avec tant de joie continuer dans un heritier, dut etre
au desespoir en songeant que maintenant il en avait deux, et que,
peut-etre, celui qui venait de naitre et qui etait inconnu,
contesterait le droit d'ainesse a l'autre qui etait ne deux heures
auparavant, et qui, deux heures auparavant, avait ete reconnu.
Ainsi, ce second fils, s'armant des interets ou des caprices d'un
parti, pouvait, un jour, semer dans le royaume la discorde et la
guerre, detruisant, par cela meme, la dynastie qu'il eut du
consolider.
-- Oh! je comprends, je comprends!... murmura le jeune homme.
-- Eh bien! continua Aramis, voila ce qu'on rapporte, voila ce
qu'on assure, voila pourquoi un des deux fils d'Anne d'Autriche,
indignement separe de son frere, indignement sequestre, reduit a
l'obscurite la plus profonde, voila pourquoi ce second fils a
disparu, et si bien disparu, que nul en France ne sait aujourd'hui
qu'il existe, excepte
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