s, ces grands comiques, offrent aussi, malgre
leur reputation, des traces d'une faculte sensible, delicate, qu'on
surprend en eux avec bonheur, mais Moliere surtout; il y a tout un
Terence dans Moliere. En amitie, on n'aurait que de beaux traits a en
dire; son sonnet sur la mort de l'abbe Lamothe-Le-Vayer et la lettre
qu'il y a jointe honorent sa douleur; bien mieux que le lyrique
Malherbe, il s'entendait a pleurer avec un pere. Je veux citer de _Don
Garcie_ quelques vers de tendresse, desquels Racine eut pu etre jaloux
pour sa _Berenice_:
Un soupir, un regard, une simple rougeur,
Un silence est assez pour expliquer un coeur.
Tout parle dans l'amour, et sur cette matiere
Le moindre jour doit etre une grande lumiere.
_Oh!_ que la difference est connue aisement
De toutes ces faveurs qu'on fait avec etude,
A celles ou du coeur fait pencher l'habitude!
Dans les unes toujours on paroit se forcer;
Mais les autres, helas! se font sans y penser,
Semblables a ces eaux si pures et si belles
Qui coulent sans effort des sources naturelles.
Et dans les _Facheux_:
L'amour aime surtout les secretes faveurs;
Dans l'obstacle qu'on force il trouve des douceurs,
Et le moindre entretien de la beaute qu'on aime,
Lorsqu'il est defendu, devient grace supreme.
Et dans _la Princesse d'Elide_, premier acte, premiere scene, ces
vers qui expriment une observation si vraie sur les amours tardives,
developpees longtemps seulement apres la premiere rencontre:
Ah! qu'il est bien peu vrai que ce qu'on doit aimer,
Aussitot qu'on le voit, prend droit de nous charmer,
Et qu'un premier coup d'oeil allume en nous les flammes
Ou le Ciel en naissant a destine nos ames!
avec toute la tirade qui suit.--Or Moliere, de complexion sensible a ce
point et amoureuse, vers le temps ou il peignait le plus gaiement du
monde Arnolphe dictant les commandements du mariage a Agnes, Moliere,
age de quarante ans lui-meme (1662), epousait la jeune Armande Bejart,
agee de dix-sept au plus et soeur cadette de Madeleine[10].
[Note 10: On a cru longtemps que cette Bejart, femme de Moliere,
etait fille naturelle et non soeur de l'autre Bejart; on l'a meme cru
du vivant de Moliere, et depuis sans interruption, jusqu'a ce que M.
Beffara decouvrit de nos jours l'acte de mariage qui derange cette
parente. M. Fortin d'Urban a essaye d'infirmer, non pas l'authenticite,
mais la valeur de cet acte, et, au milieu de beaucoup de rais
|