'Viens! nos doux chevaux mensonges
Frappent du pied tous les deux,
Le mien au fond de mes songes,
Et le tien au fond des cieux.
'Un bagage est necessaire;
Nous emporterons nos voeux,
Nos bonheurs, notre misere,
Et la fleur de tes cheveux.
'Viens, le soir brunit les chenes,
Le moineau rit; ce moqueur
Entend le doux bruit des chaines
Que tu m'as mises au coeur.
'Ce ne sera point ma faute
Si les forets et les monts,
En nous voyant cote a cote,
Ne murmurent pas: Aimons!
'Viens, sois tendre, je suis ivre.
O les verts taillis mouilles!
Ton souffle te fera suivre
Des papillons reveilles.
'L'envieux oiseau nocturne,
Triste, ouvrira son oeil rond;
Les nymphes, penchant leur urne,
Dans les grottes souriront.
'Et diront: "Sommes-nous folles!
C'est Leandre avec Hero;
En ecoutant leurs paroles
Nous laissons tomber notre eau."
'Allons-nous-en par l'Autriche!
Nous aurons l'aube a nos fronts;
Je serai grand, et toi riche,
Puisque nous nous aimerons.
'Allons-nous-en par la terre,
Sur nos deux chevaux charmants,
Dans l'azur, dans le mystere,
Dans les eblouissements!
'Nous entrerons a l'auberge,
Et nous payerons l'hotelier
De ton sourire de vierge,
De mon bonjour d'ecolier.
'Tu seras dame, et moi comte;
Viens, mon coeur s'epanouit,
Viens, nous conterons ce conte
Aux etoiles de la nuit.'
La melodie encor quelques instants se traine
Sous les arbres bleuis par la lune sereine,
Puis tremble, puis expire, et la voix qui chantait
S'eteint comme un oiseau se pose; tout se tait.
XII
LE GRAND JOSS ET LE PETIT ZENO
Soudain, au seuil lugubre apparaissent trois tetes
Joyeuses, et d'ou sort une lueur de fetes;
Deux hommes, une femme en robe de drap d'or.
L'un des hommes parait trente ans; l'autre est encor
Plus jeune, et sur son dos il porte en bandouliere
La guitare ou s'enlace une branche de lierre;
Il est grand et blond; l'autre est petit, pale et brun;
Ces hommes, qu'on dirait faits d'ombre et de parfum,
Sont beaux, mais le demon dans leur beaute grimace;
Avril a de ces fleurs ou rampe une limace.
--Mon grand Joss, mon petit Zeno, venez ici.
Voyez. C'est effrayant.
Celle qui parle
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