plaie implacable et sombre, dont le sang
Faisait un lac fumant a la porte du bouge,
Chacun de ses rayons entrait comme un fer rouge;
Comme s'ils accouraient a l'appel du soleil,
Cent moustiques sucaient la plaie au bord vermeil;
Comme autour de leur lit voltigent les colombes,
Ils allaient et venaient, parasites des tombes,
Les pattes dans le sang, l'aile dans le rayon;
Car la mort, l'agonie et la corruption
Sont ici-bas le seul mysterieux desastre
Ou la mouche travaille en meme temps que l'astre;
Le porc ne pouvait faire un mouvement, livre
Au feroce soleil, des mouches devore;
On voyait tressaillir l'effroyable coupure;
Tous les passants fuyaient loin de la bete impure;
Qui donc eut eu pitie de ce malheur hideux?
Le porc et le sultan etaient seuls tous les deux;
L'un torture, mourant, maudit, infect, immonde;
L'autre, empereur, puissant, vainqueur; maitre du monde,
Triomphant aussi haut que l'homme peut monter,
Comme si le destin eut voulu confronter
Les deux extremites sinistres des tenebres.
Le porc, dont un frisson agitait les vertebres,
Ralait, triste, epuise, morne; et le padischah
De cet etre difforme et sanglant s'approcha,
Comme on s'arrete au bord d'un gouffre qui se creuse;
Mourad pencha son front sur la bete lepreuse,
Puis la poussa du pied dans l'ombre du chemin,
Et, de ce meme geste enorme et surhumain
Dont il chassait les rois, Mourad chassa les mouches.
Le porc mourant rouvrit ses paupieres farouches,
Regarda d'un regard ineffable, un moment,
L'homme qui l'assistait dans son accablement;
Puis son oeil se perdit dans l'immense mystere;
Il expira.
IV
Le jour ou ceci sur la terre
S'accomplissait, voici ce que voyait le ciel:
C'etait dans l'endroit calme, apaise, solennel,
Ou luit l'astre ideal sous l'ideal nuage,
Au dela de la vie, et de l'heure, et de l'age,
Hors de ce qu'on appelle espace, et des contours
Des songes qu'ici-bas nous nommons nuits et jours;
Lieu d'evidence ou l'ame enfin peut voir les causes,
Ou, voyant le revers inattendu des choses,
On comprend, et l'on dit: C'est bien!--l'autre cote
De la chimere sombre etant la verite;
Lieu blanc, chaste, ou le mal s'evanouit et sombre.
L'etoile en cet azur semble une goutte d'ombre.
Ce qui rayonne la, ce n'est pas un vain jour
Qui nait et meurt, riant et pleurant tour a tour,
Jaillissant, puis rentrant dans la noirceur
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