et tous ces morts, saignant
Au loin, d'un continent a l'autre continent,
Pendant aux pals, cloues aux croix, nus sur les claies,
Criaient, montrant leurs fers, leur sang, leurs maux, leurs plaies:
--C'est Mourad! c'est Mourad! justice, o Dieu vivant!
A ce cri, qu'apportait de toutes parts le vent,
Les tonnerres jetaient des grondements etranges,
Des flamboiements passaient sur les faces des anges,
Les grilles de l'enfer s'empourpraient, le courroux
En faisait remuer d'eux-memes les verrous,
Et l'on voyait sortir de l'abime insondable
Une sinistre main qui s'ouvrait formidable;
'Justice!' repetait l'ombre, et le chatiment
Au fond de l'infini se dressait lentement.
Soudain du plus profond des nuits, sur la nuee,
Une bete difforme, affreuse, extenuee,
Un etre abject et sombre, un pourceau, s'eleva;
Ouvrant un oeil sanglant qui cherchait Jehovah;
La nuee apporta le porc dans la lumiere,
A l'endroit meme ou luit l'unique sanctuaire,
Le saint des saints, jamais decru, jamais accru;
Et le porc murmura:--Grace! il m'a secouru.
Le pourceau miserable et Dieu se regarderent.
Alors, selon des lois que hatent ou moderent
Les volontes de l'Etre effrayant qui construit
Dans les tenebres l'aube et dans le jour nuit,
On vit, dans le brouillard ou rien n'a plus de forme,
Vaguement apparaitre une balance enorme;
Cette balance vint d'elle-meme, a travers
Tous les enfers beants, tous les cieux entr'ouverts,
Se placer sous la foule immense des victimes;
Au-dessus du silence horrible des abimes,
Sous l'oeil du seul vivant, du seul vrai, du seul grand,
Terrible, elle oscillait, et portait, s'eclairant
D'un jour mysterieux plus profond que le notre,
Dans un plateau le monde et le pourceau dans l'autre.
Du cote du pourceau la balance pencha.
V
Mourad, le haut calife et l'altier padischah,
En sortant de la rue ou les gens de la ville
L'avaient pu voir toucher a cette bete vile,
Fut le soir meme pris d'une fievre, et mourut.
Le tombeau des soudans, bati de jaspe brut,
Couvert d'orfevrerie, auguste, et dont l'entree
Semble l'interieur d'une bete eventree
Qui serait tout en or et tout en diamants,
Ce monument, superbe entre les monuments,
Qui herisse, au-dessus d'un mur de briques seches,
Son faite plein de tours comme un carquois de fleches,
Ce turbe que Bagdad montre encore aujourd'hui,
Recut le sultan mort et se ferma s
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