eux grands lits.
Les murs n'ont pas de papier; les solives du plafond se voient... Il y
a quatre ans, lorsque l'Academie donna a l'auteur de _Mireille_ le prix
de trois mille francs, Mme Mistral eut une idee.
--Si nous faisions tapisser et plafonner ta chambre? dit-elle a son
fils.
--Non! non! repondit Mistral... Ca, c'est l'argent des poetes, on n'y
touche pas.
Et la chambre est restee toute nue; mais tant que l'argent des poetes
a dure, ceux qui ont frappe chez Mistral ont toujours trouve sa bourse
ouverte...
J'avais emporte le cahier de _Calendal_ dans la chambre, et je voulus
m'en faire lire encore un passage avant de m'endormir. Mistral choisit
l'episode des faiences. Le voici en quelques mots:
C'est dans un grand repas je ne sais ou. On apporte sur la table un
magnifique service en faience de Moustiers. Au fond de chaque assiette,
dessine en bleu dans l'email, il y a un sujet provencal; toute
l'histoire du pays tient la dedans. Aussi il faut voir avec quel amour
sont decrites ces belles faiences; une strophe pour chaque assiette,
autant de petits poemes d'un travail naif et savant, acheves comme un
tableautin de Theocrite.
Tandis que Mistral me disait ses vers dans cette belle langue
provencale, plus qu'aux trois quarts latine, que les reines ont parlee
autrefois et que maintenant nos patres seuls comprennent, j'admirais cet
homme au dedans de moi, et, songeant a l'etat de ruine ou il a trouve sa
langue maternelle et ce qu'il en a fait, je me figurais un de ces vieux
palais des princes des Baux comme on en voit dans les Alpilles: plus de
toits, plus de balustres aux perrons, plus de vitraux aux fenetres,
le trefle des ogives casse, le blason des portes mange de mousse, des
poules picorant dans la cour d'honneur, des porcs vautres sous les fines
colonnettes des galeries, l'ane broutant dans la chapelle ou l'herbe
pousse, des pigeons venant boire aux grands benitiers remplis d'eau de
pluie, et enfin, parmi ces decombres, deux ou trois familles de paysans
qui se sont bati des huttes dans les flancs du vieux palais.
Puis, voila qu'un beau jour le fils d'un de ces paysans s'eprend de ces
grandes ruines et s'indigne de les voir ainsi profanees; vite, vite, il
chasse le betail hors de la cour d'honneur; et, les fees lui venant
en aide, a lui tout seul il reconstruit le grand escalier, remet des
boiseries aux murs, des vitraux aux fenetres, releve les tours, redore
la salle du trone, et met sur pied le vas
|