ohemiens, empiles sous
les arceaux d'une cour moresque. Cette cour tient a la mosquee de
Milianah; c'est le refuge habituel de la pouillerie musulmane, on
l'appelle la _cour des pauvres_.
De grands levriers maigres, tout couverts de vermine, viennent roder
autour de moi d'un air mechant. Adosse contre un des piliers de la
galerie, je tache de faire bonne contenance, et, sans parler a personne,
je regarde la pluie qui ricoche sur les dalles coloriees de la cour. Les
bohemiens sont a terre, couches par tas. Pres de moi, une jeune femme,
presque belle, la gorge et les jambes decouvertes, de gros bracelets de
fer aux poignets et aux chevilles, chante un air bizarre a trois notes
melancoliques et nasillardes. En chantant, elle allaite un petit enfant
tout nu en bronze rouge, et, du bras reste libre, elle pile de l'orge
dans un mortier de pierre. La pluie, chassee par un vent cruel, inonde
parfois les jambes de la nourrice et le corps de son nourrisson. La
bohemienne n'y prend point garde et continue a chanter, sous la rafale,
en pilant l'orge et donnant le sein.
L'orage diminue. Profitant d'une embellie, je me hate de quitter cette
cour des Miracles et je me dirige vers le diner de Sid'Omar; il est
temps... En traversant la grand'place, j'ai encore rencontre mon vieux
juif de tantot. Il s'appuie sur son agent d'affaires; ses temoins
marchent joyeusement derriere lui; une bande de vilains petits juifs
gambade a l'entour... Tous les visages rayonnent. L'agent se charge de
l'affaire: Il demandera au tribunal deux mille francs d'indemnite.
* * * * *
Chez Sid'Omar, diner somptueux.--La salle a manger ouvre sur une
elegante cour moresque, ou chantent deux ou trois fontaines...
Excellent repas turc, recommande au baron Brisse. Entre autres plats, je
remarque un poulet aux amandes, un couss-couss a la vanille, une tortue
a la viande,--un peu lourde mais du plus haut gout,--et des biscuits
au miel qu'on appelle _bouchees du kadi_... Comme vin, rien que du
champagne. Malgre la loi musulmane Sid'Omar en boit un peu,--quand les
serviteurs ont le dos tourne... Apres diner, nous passons dans la
chambre de notre hote, ou l'on nous apporte des confitures, des pipes
et du cafe... L'ameublement de cette chambre est des plus simples: un
divan, quelques nattes; dans le fond, un grand lit tres haut sur lequel
flanent de petits coussins rouges brodes d'or... A la muraille est
accrochee une vieille peinture t
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