'environne, j'entends
des cris dans un coin de la place... Quelques Maltais sans doute en
train de s'expliquer a coups de couteau...
Je reviens a l'hotel, lentement, le long des remparts. D'adorables
senteurs d'orangers et de thuyas montent de la plaine. L'air est doux,
le ciel presque pur... La-bas, au bout du chemin, se dresse un vieux
fantome de muraille, debris de quelque ancien temple. Ce mur est sacre:
tous les jours les femmes arabes viennent y suspendre des _ex-voto_,
fragments de haicks et de foutas, longues tresses de cheveux roux lies
par des fils d'argent, pans de beurnouss... Tout cela va flottant sous
un mince rayon de lune, au souffle tiede de la nuit...
LES SAUTERELLES
Encore un souvenir d'Algerie, et puis nous reviendrons au moulin...
La nuit de mon arrivee dans cette ferme du Sahel, je ne pouvais pas
dormir. Le pays nouveau, l'agitation du voyage, les aboiements des
chacals, puis une chaleur enervante, oppressante, un etouffement
complet, comme si les mailles de la moustiquaire n'avaient pas laisse
passer un souffle d'air... Quand j'ouvris ma fenetre, au petit jour,
une brume d'ete lourde, lentement remuee, frangee aux bords de noir et
de rose, flottait dans l'air comme un nuage de poudre sur un champ de
bataille. Pas une feuille ne bougeait, et dans ces beaux jardins que
j'avais sous les yeux, les vignes espacees sur les pentes au grand
soleil qui fait les vins sucres, les fruits d'Europe abrites dans un
coin d'ombre, les petits orangers, les mandariniers en longues files
microscopiques, tout gardait le meme aspect morne, cette immobilite des
feuilles attendant l'orage. Les bananiers eux-memes, ces grands roseaux
vert tendre, toujours agites par quelque souffle qui emmele leur fine
chevelure si legere, se dressaient silencieux et droits, en panaches
reguliers.
Je restai un moment a regarder cette plantation merveilleuse, ou tous
les arbres du monde se trouvaient reunis, donnant chacun dans leur
saison leurs fleurs et leurs fruits depayses. Entre les champs de ble et
les massifs de chenes-lieges, un cours d'eau luisait, rafraichissant
a voir par cette matinee etouffante; et tout en admirant le luxe et
l'ordre de ces choses, cette belle ferme avec ses arcades moresques, ses
terrasses toutes blanches d'aube, les ecuries et les hangars groupes
autour, je songeais qu'il y a vingt ans, quand ces braves gens etaient
venus s'installer dans ce vallon du Sahel, ils n'avaient trouve qu'une
mecha
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