mb. Fervent chretien du reste, quoique
un peu visionnaire, a l'aise sous le cilice et se donnant la discipline
avec une conviction robuste, et des bras!...
Quand on le vit entrer dans la salle du chapitre, simple et balourd,
saluant l'assemblee la jambe en arriere, prieur, chanoines, argentier,
tout le monde se mit a rire. C'etait toujours l'effet que produisait,
quand elle arrivait quelque part, cette bonne face grisonnante avec sa
barbe de chevre et ses yeux un peu fous; aussi le frere Gaucher ne s'en
emut pas.
--Mes reverends, fit-il d'un ton bonasse en tortillant son chapelet de
noyaux d'olives, on a bien raison de dire que ce sont les tonneaux vides
qui chantent le mieux. Figurez-vous qu'a force de creuser ma pauvre tete
deja si creuse, je crois que j'ai trouve le moyen de nous tirer tous de
peine.
"Voici comment. Vous savez bien tante Begon, cette brave femme qui me
gardait quand j'etait petit. (Dieu ait son ame, la vieille coquine! elle
chantait de bien vilaines chansons apres boire.) Je vous dirai donc,
mes reverends peres, que tante Begon, de son vivant, se connaissait aux
herbes de montagnes autant et mieux qu'un vieux merle de Corse. Voire,
elle avait compose sur la fin de ses jours un elixir incomparable en
melangeant cinq ou six especes de simples que nous allions cueillir
ensemble dans les Alpilles. Il y a belles annees de cela: mais je pense
qu'avec l'aide de saint Augustin et la permission de notre pere abbe, je
pourrais--en cherchant bien--retrouver la composition de ce mysterieux
elixir. Nous n'aurions plus alors qu'a le mettre en bouteilles, et a le
vendre un peu cher, ce qui permettrait a la communaute de s'enrichir
doucettement, comme ont fait nos freres de la Trappe et de la Grande...
Il n'eut pas le temps de finir. Le prieur s'etait leve pour lui sauter
au cou. Les chanoines lui prenaient les mains. L'argentier, encore plus
emu que tous les autres, lui baisait avec respect le bord tout effrange
de sa cucule... Puis chacun revint a sa chaire pour deliberer; et,
seance tenante, le chapitre decida qu'on confierait les vaches au frere
Thrasybule, pour que le frere Gaucher put se donner tout entier a la
confection de son elixir.
* * * * *
Comment le bon frere parvint-il a retrouver la recette de tante Begon?
au prix de quels efforts? au prix de quelles veilles? L'histoire ne
le dit pas. Seulement, ce qui est sur, c'est qu'au bout de six mois,
l'elixir des Per
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