comme de l'or voile de claires etoffes blanches. Cela donnait vaguement
l'impression d'une fete d'eglise, de soutanes rouges sous des robes de
dentelles, de dorures d'autel enveloppees de guipures...
Mais mon meilleur souvenir d'oranges me vient encore de Barbicaglia, un
grand jardin aupres d'Ajaccio ou j'allais faire la sieste aux heures
de chaleur. Ici les orangers, plus hauts, plus espaces qu'a Blidah,
descendaient jusqu'a la route, dont le jardin n'etait separe que par une
haie vive et un fosse. Tout de suite apres, c'etait la mer, l'immense
mer bleue... Quelles bonnes heures j'ai passees dans ce jardin!
Au-dessus de ma tete, les orangers en fleur et en fruit brulaient leurs
parfums d'essences. De temps en temps, une orange mure, detachee tout a
coup, tombait pres de moi comme alourdie de chaleur, avec un bruit
mat, sans echo, sur la terre pleine. Je n'avais qu'a allonger la main.
C'etaient des fruits superbes, d'un rouge pourpre a l'interieur. Ils
me paraissaient exquis, et puis l'horizon etait si beau! Entre les
feuilles, la mer mettait des espaces bleus eblouissants comme des
morceaux de verre brises qui miroitaient dans la brume de l'air. Avec
cela le mouvement du flot agitant l'atmosphere a de grandes distances,
ce murmure cadence qui vous berce comme dans une barque invisible, la
chaleur, l'odeur des oranges... Ah! qu'on etait bien pour dormir dans
le jardin de Barbicaglia!
Quelquefois cependant, au meilleur moment de la sieste, des eclats de
tambour me reveillaient en sursaut. C'etaient de malheureux tapins qui
venaient s'exercer en bas, sur la route. A travers les trous de la haie,
j'apercevais le cuivre des tambours et les grands tabliers blancs sur
les pantalons rouges. Pour s'abriter un peu de la lumiere aveuglante que
la poussiere de la route leur renvoyait impitoyablement, les pauvres
diables venaient se mettre au pied du jardin, dans l'ombre courte de la
haie. Et ils tapaient! et ils avaient chaud! Alors, m'arrachant de force
a mon hypnotisme, je m'amusais a leur jeter quelques-uns de ces beaux
fruits d'or rouge qui pendaient pres de ma main. Le tambour vise
s'arretait. Il y avait une minute d'hesitation, un regard circulaire
pour voir d'ou venait la superbe orange roulant devant lui dans le
fosse; puis il la ramassait bien vite et mordait a pleines dents sans
meme enlever l'ecorce.
Je me souviens aussi que tout a cote de Barbicaglia, et separe seulement
par un petit mur bas, il y avait un jardine
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