un air plus pur. Mais un grand nombre
de ces infortunes, affectes d'un desir violent de revoir leur pays natal,
desir si violent en effet que les gens de l'art l'ont classe, sous le nom
de Nostalgie, parmi les maladies qui affligent la race humaine, ne se
virent pas plutot en liberte, qu'ils se precipiterent dans la mer, en se
tenant embrasses les uns les autres. Le capitaine du Rodeur en fit un
effroyable exemple: il en fit fusiller quelques-uns et en fit pendre
d'autres, afin d'intimider le reste; mais cette barbarie fut sans succes,
et l'on prit le parti de les enfermer tous a fond de cale. La maladie fut
reconnue etre une ophtalmie violente. Le mal qui avait fait de rapides
progres parmi les Africains, commenca bientot a attaquer l'equipage.
Le premier homme de l'equipage, atteint par la contagion, fut un matelot
qui couchait pres de la cale. Dans les trois jours qui suivirent, le
capitaine et la presque totalite de l'equipage en furent frappes. Les
ressources de l'art furent vainement employees; les douleurs augmentaient
de jour en jour, ainsi que le nombre des aveugles. Un seul matelot avait
echappe; c'etait leur seule esperance et, cet homme venant a etre frappe,
il ne leur eut plus ete possible de diriger le batiment, pour se rendre
aux Antilles. C'est ce qui etait arrive a un batiment espagnol qu'ils
rencontrerent sur leur route: tout son equipage etait devenu aveugle.
Ils avaient donc ete obliges de renoncer a diriger le navire, et se
recommanderent a la charite du Rodeur; mais les gens du Rodeur ne purent
ni abandonner leur bord pour aller sur le bord espagnol, ni recevoir
l'equipage de ce navire, le leur etant a peine suffisant pour eux. Depuis
on n'a plus entendu parler de ce navire qui se nommait le St. Leon.
La consternation devint generale, mais n'empecha pas de se livrer a un
effroyable calcul. Parmi les noirs, qui etaient devenus totalement
aveugles, il y en eut 36 _qu'on jeta a la mer_, pour n'avoir pas a
les nourrir en pure perte, puisqu'en cet etat deplorable il n'etait pas
possible de les vendre. Ils avaient encore un autre motif pour commettre
cet acte atroce: c'etait d'obtenir que la valeur de ces infortunes leur
fut integralement payee par les assureurs de la cargaison. Arrives a la
Guadeloupe, ceux d'entre les esclaves qui avaient survecu, etaient dans un
etat deplorable. Trois jours apres l'arrivee du navire, le seul homme de
l'equipage qui avait echappe a la contagion et qui avait pu guider
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