vengeance posthume, en representant Mme de Maintenon sous les couleurs les
plus odieuses. Suppleant par l'imagination a l'insuffisance des preuves,
il en a fait une sorte de vieille hypocrite, ayant vecu du plaisir dans sa
jeunesse, et de l'intrigue dans son age mur.
Ce qu'il dit d'elle est un tissu d'inexactitudes.
Il la fait naitre en Amerique, tandis qu'elle naquit a Niort. Il admet a
peine que son pere fut gentilhomme, bien qu'elle eut une noblesse
absolument incontestable. Ses autres informations n'ont pas plus de
fondement.
Si chaque jour augmente la gloire de Saint-Simon, si l'on ne cesse
d'admirer ce style qui rappelle tour a tour la hardiesse de Bossuet, le
coloris de La Bruyere, l'allure de Mme de Sevigne, en revanche, plus on
etudie serieusement la cour de Louis XIV, plus on reconnait que les fameux
Memoires sont remplis d'inexactitudes. Dans son remarquable ouvrage
critique sur l'oeuvre de Saint-Simon, M. Cheruel a bien raison de dire:
"L'observation de Saint-Simon est fine, sagace, penetrante pour sonder les
replis des coeurs des courtisans; mais elle manque d'etendue et de
grandeur. A la cour, son horizon est borne. Tout ce qui le depasse ne lui
presente que des traits vagues et confus. En lui accordant la perspicacite
de l'observateur, on doit lui refuser l'impartialite du juge[1]." A
l'entendre, Mme de Maintenon est l'unique maitresse de la France,
l'omnipotente sultane, la _pantocrate_, comme disait la princesse Palatine
dans son jargon bizarre. Il retrace, avec force details, "son incroyable
succes, l'entiere confiance, la rare dependance, la toute-puissance,
l'adoration publique, presque universelle, les ministres, les generaux
d'armee, la famille royale a ses pieds, tout bon et tout bien par elle,
tout reprouve sans elle: les hommes, les affaires, les choses, les choix,
les justices, les graces, la religion, tout sans exception en sa main,
et le roi et l'Etat ses victimes."
[Note 1: _Saint-Simon considere comme historien de Louis XIV_, par M.
Cheruel.]
Quoi qu'on en dise, Louis XIV est toujours reste le maitre, et c'est lui
qui a trace les grandes lignes politiques du regne. Mme de Maintenon a pu
lui donner des conseils, mais c'est lui qui decidait en dernier ressort.
Chose digne de remarque: cette femme, a qui l'on voudrait maintenant
reprocher une immixtion tracassiere dans toutes choses, etait accusee par
les hommes les plus eminents de se tenir a l'ecart. Fenelon lui ecrivait:
"On dit
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