ait, tout en combattant la partie
theorique et la chimere des atomes: "Passe encore pour la morale."
Moliere etait donc simplement, selon moi, de la religion, je ne veux pas
dire de don Juan ou d'Epicure, mais de Chremes dans Terence: _Homo sum_.
On lui a applique en un sens serieux ce mot du _Tartufe: Un homme... un
homme enfin!_ Cet homme savait les faiblesses et ne s'en etonnait pas;
il pratiquait le bien plus qu'il n'y croyait; il comptait sur les
vices, et sa plus ardente indignation tournait au rire. Il considerait
volontiers cette triste humanite comme une vieille enfant et une
incurable, qu'il s'agit de redresser un peu, de soulager surtout en
l'amusant.
[Note 2: La Bruyere a dit: "Un homme ne chretien et Francois se
trouve contraint dans la satire: les grands sujets lui sont defendus,
il les entame quelquefois et se detourne ensuite sur de petites choses
qu'il releve par la beaute de son genie et de son style."--Moliere
n'a pas du tout fait ainsi, il ne s'est beaucoup contraint ni devant
l'Eglise ni a l'egard de Versailles, et ne s'est pas epargne les grands
sujets. Dix ou quinze ans plus lard seulement, au temps ou paraissaient
_les Caracteres_, cela lui eut ete moins facile.]
Aujourd'hui que nous jugeons les choses a distance et par les resultats
degages, Moliere nous semble beaucoup plus radicalement agressif contre
la societe de son temps qu'il ne crut l'etre; c'est un ecueil dont nous
devons nous garder en le jugeant. Parmi ces illustres contemporains que
je citais tout a l'heure, il en est un, un seul, celui qu'on serait le
moins tente de rapprocher de notre poete, et qui pourtant, comme lui,
plus que lui, mit en question les principaux fondements de la societe
d'alors, et qui envisagea sans prejuge aucun la naissance, la qualite,
la propriete; mais Pascal (car ce fut l'audacieux) ne se servit de ce
peu de fondement, ou plutot de cette ruine qu'il faisait de toutes les
choses d'alentour, que pour s'attacher avec plus d'effroi a la colonne
du temple, pour embrasser convulsivement la Croix. Tous les deux, Pascal
et Moliere, nous apparaissent aujourd'hui comme les plus formidables
temoins de la societe de leur temps; Moliere, dans un espace immense et
jusqu'au pied de l'enceinte religieuse, battant, fourrageant de toutes
parts avec sa troupe le champ de la vieille societe, livrant pele-mele
au rire la fatuite titree, l'inegalite conjugale, l'hypocrisie
captieuse, et allant souvent effrayer du meme coup la
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